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Vous trouverez sur cette page la présentation de quelques ouvrages de Jacques Lacan ou des ouvrages traitant de son oeuvre...

 

Sommaire :

Freud et Lacan nouveau
Le Séminaire, Livre VI
Deux seminaires (XVI et XIX)
Je parle aux murs
Mon enseignement

Télévision
Le triomphe de la religion
Imposture ou psychanalyse
Les impromptus de Lacan
Le Lacan dira-t-on
Lacan de l'équivoque à l'impasse
Les Noms-du-Père
Lacan, le maître absolu
Les patients de Freud
Une saison chez Lacan

 

Freud et Lacan


Ce texte a paru dans l'ouvrage "Pour Freud" aux éditions l'Harmattan en 2013, il fait parti d'une série d'articles prenant à revers les déconstructeurs de la psychanalyse, pour commander l'ouvrage :

http://www.editions-harmattan

 

« Notre pratique est une escroquerie. Bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué... Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession... Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi, dans très peu de temps, tout le monde s'en foutra de la psychanalyse. » (1)

Les psychanalystes ne sont pas forcément de bons prophètes, puisque trente-six ans après cette déclaration à l’humour grinçant, la psychanalyse fait toujours débat et l’œuvre de Lacan n’a jamais été autant commentée, autant discutée, autant réfutée. Après s’être attaqués à Freud, proie facile à leurs yeux, certains, mais pas le plus grand nombre, des pourfendeurs de la psychanalyse s’attaquent à Jacques Lacan et à son œuvre. L’exercice est plus ardu pour plusieurs raisons : l’œuvre de Lacan n’a pas été entièrement publiée à ce jour, et elle est surtout beaucoup plus obscure, beaucoup plus « ésotérique ». Une lecture superficielle n’en est pas possible pour se livrer à une critique. Par ailleurs cette critique n’intéresse pas le grand public, elle est affaire d’exégètes, de ce fait elle rapporte moins d’argent, car sa publication n’est pas destinée à un tirage spectaculaire comme la critique de Freud, dont le nom est connu du grand public. Certains contemporains pourtant s’y sont essayés et leurs arguments sont parfois solides. Mais il est à noter que cette critique de Lacan est aussi vieille que la critique de la psychanalyse. Car il faut bien se rendre à l’évidence, le premier critique de Freud fut Lacan lui-même tout au long de son Séminaire. Dans sa critique de Freud, débordant souvent sur la critique de la psychanalyse, il fut souvent suivi et parfois précédé par beaucoup de philosophes contemporains  qui   l’influencèrent  directement  ou  indirec-tement. Philosophes dont parfois les attaques virulentes dépassent celles des critiques contemporains :

 "Et comment coexistèrent trois éléments : l'élément explorateur [...] l'élément culturel classique, [...] et enfin le troisième [...] le plus inquiétant, une sorte de racket assoiffé de respectabilité, qui n'aura de cesse de se faire reconnaître et institutionnaliser, une formidable entreprise d'absorption de plus-value, avec sa codification de la cure interminable, sa cynique justification du rôle de l'argent, et tous les gages qu'elle donne à l'ordre établi." (2)

Que ces critiques soient de purs philosophes, comme Gilles Deleuze ou des sociologues, tel Robert Castel (3), qui dès les années soixante-dix se livrèrent à une sévère critique de la psychanalyse. Ces critiques, très éloignées des critiques communistes de l’avant-guerre qui reprochaient à la psychanalyse d’être une science bourgeoise, ne s’attaquèrent pas seulement à la doctrine freudienne, mais également à l’institution psychanalytique à qui ils reprochaient ses accointances avec le pouvoir.
La sexualité infantile que révèle Freud fait l'effet d'une révolution en complète rupture avec la vision que la société a alors de l'homme. La psychanalyse à ses débuts sera violemment rejetée par le discours médical, elle essaiera donc d'asseoir une théorie qui, pour être bien accueillie par le pouvoir en place, devra aller dans les vues idéologiques de ce dernier, être conforme à sa conception de "l'homme." Pour donner un contrepoids à sa découverte, la psychanalyse va se montrer complaisante : la théorie des stades avec l'unification des pulsions perverses au stade génital verra le jour. Ainsi l'homofreudimus est conforme aux vues de la bourgeoisie au pouvoir : la sexualité a pour fonction et pour but la perpétuation de l'espèce. Le plaisir n'est pas contingent, la sexualité humaine a comme visée dernière la reproduction. C'est justement en voulant élaborer une théorie mécanique du psychisme qui utilise la perversion infantile comme combustible premier appelé à disparaître en se consumant, que la psychanalyse va donner le meilleur de ses gages à l'ordre établi. Même si ses théories ne sont pas scientifiquement démontrables, elle n'aura de cesse de se vouloir scientifique et de se faire avaliser par la Science Médicale.
S'appuyant sur des bases biologiques, l'Inconscient freudien renvoie au symbolisme. Les poètes, les philosophes, les artistes, les pédagogues s'emparent, tour à tour de cet Inconscient. Les thèses de Freud sont une affaire de concepts, de données, d'articulations. Tout le monde ou presque peut comprendre l'écriture freudienne. Freud tente une rupture avec la médecine classique de son époque. La psychanalyse va naître hors de l'hôpital pour s'ouvrir aux philosophes, aux poètes et aux artistes, le débat n'est pas encore dans la rue, mais il s'en approche : il envahit les salons littéraires, les ateliers d'artistes, les cercles intellectuels. Cette doctrine d'un Inconscient lié au biologique, partant de la pulsion et se frayant un chemin à travers les différentes instances du psychisme pour resurgir sous forme de symptômes ou de symboles s'est par la suite éloignée dans des directions non prévues, aussi variées qu'originales.
Mais malgré des déviations importantes, la conception freudienne, "scientifique", médicale, en un mot matérialiste de l'inconscient tient le coup dans la durée. Ce concept d'inconscient, avec son assise biologique et une barrière refoulante pourrait donc s'appliquer à une forme de société où la sexualité est aussi une fonction sociale, un positionnement de l'individu dans le groupe :

"Quand Freud se demande s'il existe chez l'homme quelque chose de comparable à "l'instinct des animaux", ce n'est pas dans les pulsions qu'il trouve cet équivalent, c'est précisément dans les fantasmes originaires." (4)

La horde primitive de "Totem et tabous" (5), dans laquelle le père possède toutes les femmes ne semble pas très éloignée du harem des gorilles au centre duquel domine un mâle régnant sur un groupe de femelles. Une extrapolation est-elle possible ? La question n'a pas de réponse. Les gorilles ne nous diront jamais si l'interdiction de prendre les femelles du dominant est une problématique de la castration découlant de la Loi, ce qui impliquerait alors une fonction symbolique chez ces derniers. Ce qui ne semble pas être possible pour la psychanalyse d'inspiration lacanienne :

"Lacan fait du phallus un signifiant - c'est à dire non une chose ou un organe, mais un symbole qui n'existe que du langage, puisque seul, l'être parlant rencontre la castration" (6)

L'auteur admet effectivement un "léger" décalage entre la théorie freudienne et les concepts de Jacques Lacan :

"Si le symptôme peut être lu, c'est parce qu'il est déjà lui-même inscrit dans un procès d'écriture. Rien chez Freud ne contredit cette lecture ; Lacan n'a, la plupart du temps qu'à simplement montrer  ce qui se donne à lire. Rien sauf ceci, qui n'est pas rien : pour Freud, la référence, le réel est biologique." (7)

Ce qui est à noter dans ce propos c'est la rupture entre une psychanalyse où la référence au réel est biologique et une psychanalyse où ce référent est de l'ordre du langage.
On assiste, dans un premier temps, à une psychanalyse, celle de Freud, qui quitte l'hôpital, qui tourne le dos à la psychiatrie, qui se met à opérer en ville, dans un salon, qui a l'air de se trouver en rupture totale, par ses concepts et ses méthodes avec la psychiatrie traditionnelle, voire qui se trouve en rupture avec la médecine. Elle se marginalise elle-même par une approche du psychisme sans précédent dans le monde médical. La relation médecin/malade est éclatée, elle devient un contrat commercial déterminant une durée et un coût décidés en commun et par avance. C'est une transaction entre une demande de soins et une offre de service –un mieux être- distribuée par l’application d'un savoir.
La connaissance freudienne va se diffuser en impliquant son créateur qui devient le sujet et l'acteur d'un regard nouveau posé sur l'Homme à partir de sa propre expérience et de son propre engagement. La nouveauté va exister à partir de ce que Freud va relater et écrire sur ses patients et sur lui-même. Cette nouveauté est divulguée au monde sitôt qu'elle est acquise, quitte à se modifier en cours de route. Il y a un nouveau discours sur un nouvel objet, un discours sur l'Inconscient, sur les symptômes, qui se trouve en rupture avec la psychiatrie. Mais cette rupture avec la psychiatrie fut de forme, non de fait. Il y a eu rupture avec la forme médicale traditionnelle, pas avec le fond médical. La référence au "constitutionnel" restera présente tout au long de l'œuvre de Freud. Il ne se départira jamais de sa formation médicale, elle influencera toute son œuvre. Il ne lira jamais les philosophes de peur d'être influencé par leurs pensées. Il construira un appareil psychique comme il existe un appareil digestif. Freud fera une véritable anatomo-pathologie de l'inconscient.
Comme il se plaisait à le dire lui-même, Freud était un juif infidèle, un athée. Bien qu'il prêtât aux enfants une prescience du coït et que son registre des symboles fût somme toute étendu, son approche du psychique était matérialiste. La rupture avec C. G. Jung, était inévitable ; ce dernier, en orientant la psychanalyse vers les voies de l'Inconscient collectif et des archétypes laissait le psychisme humain ouvert à une théorie des "énergies" spirituelles agissantes sur le sujet individuel. C'est entre ces deux visions, celle matérialiste de Freud et de sa libido biologique et le courant spiritualiste de Jung et de ses archétypes que Lacan, s'inspirant des thèses de Lévi-Strauss, vient opérer un glissement.
Échappatoire d'ailleurs plutôt que glissement : le biologisme freudien sera effacé par le langage, les archétypes et le symbolisme jungien seront gommés au profit du symbolique et des signifiants attendant le sujet.
C'est parce qu'il y a un vide dans les concepts lacaniens que sa pensée, ne pouvant s'inscrire ni dans un procès matérialiste ni dans une quelconque doctrine "spirituelle", a attiré des gens aux idéologies aussi différentes et antinomiques que des catholiques militants et des théoriciens marxistes, sans qu'il n'y ait pour autant de rupture majeure dans le discours lacanien.
Mais, et c'est là la part de génie de Lacan, en posant le sujet comme Sujet du désir, il quitte le vocabulaire spécifique qui protège la psychanalyse de l'intrusion philosophique à l'intérieur de son savoir. En révisant les concepts freudiens, en se référant aux philosophes tout au long de son enseignement et en plaçant l'homme comme sujet du désir Lacan opère une cassure qui obligera la psychanalyse à un glissement ontologique. 
Ce faisant, il obligera la théorie analytique à quitter le discours médical et normatif dans lequel elle s'était réfugiée. Malgré le flottement de certains concepts lacaniens, son manque de positionnement par rapport au matérialisme -et c'est là un de ses moindres paradoxes- la psychanalyse d'inspiration lacanienne se réclamera être une science de l'Inconscient. Scientifique, elle se veut, cette psychanalyse, qui de fait, n'a jamais quitté l'hôpital et qui continue à y faire des présentations de malades comme Charcot présentait les hystériques. Une psychanalyse où la transmission du savoir est perpétuée par un parterre d'étudiants suivant le Maître dans la plus pure tradition médicale. Une psychanalyse qui au fur et à mesure de son développement ne sera plus comprise par le plus grand nombre. Elle emploiera un langage compliqué, un vocabulaire ésotérique non saisissable par le vulgum pecus comme jadis la médecine s'abritait derrière le latin pour masquer son ignorance.
Cette psychanalyse se référera à la linguistique, à la phénoménologie, au structuralisme et aux  mathématiques. Elle deviendra une psychanalyse où le contrat commercial est rompu, où l'analyste redevient le médecin tout puissant qui décide de l'arrêt de la consultation, qui sait si la séance doit être écourtée ou continuée, une psychanalyse où l'analyste se fait le maître du temps.
Une psychanalyse enfin qui ne dit rien sur elle-même, ni par les découvertes que son créateur fait sur lui-même, ni de celles qu'il fait sur ses patients. Une psychanalyse qui ne se diffuse pas par l'écriture mais qui analyse la littérature, une doctrine qui se divulgue par bribes, à quelques initiés privilégiés qui ont frôlé le sillage du Maître ou qui ont pris place sur son divan. Une psychanalyse qui, prenant de l'expansion, emmène le divan à l'hôpital pour y prodiguer des soins dans une structure de pouvoir et qui se met en rupture avec la psychanalyse originelle qui avait, elle, dans sa forme, non seulement quitté l'hôpital, mais également le cabinet d'auscultation. Une psychanalyse qui n'oublie pas la notion de l'argent comme élément thérapeutique, mais qui oublie sa notion de transfert et qui, après quelques expériences pilotes s'installe durablement à l'hôpital et à l'université, légitimant par-là même un savoir reconnu comme officiel et qu’elle avait condamné, tout en continuant à se revendiquer subversive.
Existe-t-il alors une psychanalyse, la première, celle des origines, qui a tenté d'effectuer une rupture avec la forme médicale, tout en se référant au biologique et en le prenant comme support du réel et une autre qui se réfère au langage, mais qui, dans sa pratique, n'a pas effectué de véritable rupture avec l'institution hospitalière, la tradition médicale et universitaire ?
Les premières théories de Freud ont été rejetées par la majorité du corps médical, il en a toujours gardé une certaine amertume, et il n'a jamais caché ses sympathies socialisantes, voire révolutionnaires :

"Je tiens pour le progrès le plus significatif dans l'éducation de l'enfant le fait qu'en France l'État a introduit à la place du catéchisme un livre élémentaire qui donne à l'enfant les premiers renseignements sur sa position civique et sur les devoirs moraux qui lui incomberont un jour. Mais cet enseignement élémentaire est fâcheusement incomplet en ce qu'il ne cerne pas aussi le domaine de la vie sexuelle." (8)

Ce texte a été écrit en 1907, ce qui, pour l'époque est véritablement révolutionnaire. Mais le débat ne se situe pas uniquement sur un plan théorique, car derrière la découverte freudienne va se greffer une institution qui aura soif de respectabilité. Très rapidement, derrière cette apparente révolution psychanalytique va se profiler une institution psychanalytique, institution où Freud jouera un rôle majeur, tout en voulant toujours en rester à l'extérieur, en n'acceptant jamais la présidence de l'I.P.A. (International Psychoanalytical Association). Institution rigide au but de normalisation avoué dans sa théorie même : l'Œdipe, la castration, la primauté du génital, le regroupement des pulsions partielles derrière cette génitalité. Cette institution réussit le tour de force d'être à la fois internationale et sectaire. Afin que ne s'élabore aucune théorie "déviante" risquant de concurrencer l'Œdipe au sein de la "horde primitive" Ernest Jones, le biographe officiel de Freud, fonda en 1912 un "Comité Secret" chargé de veiller à l'orthodoxie de la doctrine et d'éliminer les déviants. La formation même de ce Comité qui sera dissous quelque vingt ans plus tard, en dit long sur l'esprit "scientifique" que la psychanalyse revendiquait déjà. Curieuse dialectique d'une découverte révolutionnaire et d'un savoir que d'aucuns ont voulu voir subversif. Bien que Freud se soit toujours prononcé pour que les non-médecins deviennent psychanalystes, force est de constater qu'aujourd'hui comme hier, beaucoup de psychanalystes sont issus du milieu médical, de la psychiatrie.
Lacan, lui, va développer sa pensée dans ses propres instances. Il va remettre en cause la psychanalyse en interrogeant l'analyste et en doutant de son savoir pour, finalement, ne lui en reconnaître aucun : le savoir est dans le sujet parlant, dans l'analysant. En interrogeant l'analyste sur sa position, Lacan ébranle l'édifice médical sur lequel ce dernier entend se reposer. Refus du primat de la génitalité, reconnaissance des pulsions partielles, refus de voir une différence entre l'analyse "didactique" et l'analyse "thérapeutique." Pour la psychanalyse freudienne la fin de l'analyse réside dans la résolution de l'Œdipe, pour l'analyse lacanienne la fin de l'analyse est la découverte de l'incomplétude du sujet. Ce changement radical de la visée analytique tient à la position de l'analyste différente chez Freud et chez Lacan : pour Freud l'analyste sera le vecteur et le récepteur du transfert en occupant la position de père, chez Lacan c'est la position d'objet petit a qu'occupera l'analyste. Cette différence fondamentale entraînera ipso facto une visée différente de la cure : adaptation et normalisation chez Freud, qui n'a jamais visé autre chose que la guérison des personnes en cure. Pour lui la linéarité de la libido ne fait aucun doute. Le concept même de "fixation" suppose un développement alors que pour Lacan il n'y a pas de linéarité :

"Seules des pulsions partielles désignent le sujet sexué, car il n'y a pas convergence de ces pulsions vers un tout, l'achèvement d'une pulsion sexuelle totale. Ces pulsions tournent autour d'objets qui ne constituent pas des stades de développement, mais justement des modes de rapport du sujet à la demande." (9)

La psychanalyse freudienne ne pouvait que tomber dans l'Ego psychologie, c'était sa vocation première, son but immanquable, elle ne pouvait qu'être aspirée par cette Ego psychologie comme le liquide est attiré au fond de l'entonnoir. C'est une question de gravité, la psychanalyse freudienne et l'Ego psychologie s'inscrivent dans la droite ligne de la formule positiviste : "Là où était le Ça doit être le Moi."
La psychanalyse étant toujours une histoire de transfert plus ou moins bien digéré, c'est certainement bien involontairement que l'on doit à Rudolph Lowenstein l'originalité de la doctrine de Lacan qui combattit cette psychologie du Moi. Ce dernier fut analysé par Lowenstein qui après avoir immigré aux Etats Unis en 1942 y développa l'Ego psychologie. Mais Lacan fera plus qu'établir une doctrine capable de contrer le développement de l'Ego psychologie, il va faire pénétrer la psychanalyse dans les sciences humaines et l'enrichir de ces dernières. C'est une véritable révolution qui va s'opérer en France autour de son œuvre et de son personnage. Cette révolution aura des répercussions dans le monde entier, elle parviendra même parfois à dynamiser les sociétés de psychanalyse les plus conservatrices.

(1) Jacques Lacan, Intervention à l'université de Bruxelles le 26 Février 1977, publiée dans le n° 2 de la revue Quarto en 1981

(2) Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Anti-Œdipe, éd. De Minuit p.140 (1972)

(3) Robert Castel, Le psychanalysme, éd.10/18 (1976)

(4) J. Laplanche et J-B Pontalis, Fantasmes originaires, Fantasmes des origines, Origines du fantasme, éd. Hachette, p. 83

(5) S. Freud, Totem et tabous, éd. Payot (op. cité)

(6) Patrick Guyomard, Encyclopédia Universalis, Article J. Lacan

(7) ibidem

(8) S. Freud, Les explications donnés aux enfants, in La vie sexuelle, éd. PUF

(9) Éric Porge, Jacques Lacan, un psychanalyste, éd. Érès, p. 97

 

Le Séminaire, Livre VI
Le désir et son interprétation

 

Paru en juin 2013, voici le plus volumineux des Séminaires, (Le Livre VI) de Jacques Lacan, publié à ce jour. (éd. de la Martinière.) Le thème de ce cycle a pour titre « Le désir et son interprétation » Cet enseignement s’étend de novembre 1958 à juillet 1959.
Après une courte introduction sur le graphe, l’ouvrage se divise en trois parties principales. La première est un commentaire sur un texte d’Ella Sharpe relatant un fragment d’analyse que Lacan accommode à sa sauce. S’ensuivent sept leçons sur Hamlet, où l’on apprend, ô surprise, que ce bon vieux garçon avait le complexe d’Œdipe. « Le sujet, comme l’enseigne la doctrine depuis toujours, veut maintenir le phallus de la mère. Le sujet refuse la castration de l’Autre. » Allons bon, nous qui pensions bêtement, depuis qu’on nous le serine et qu’on nous le fait rentrer dans la tête à coup de marteau, que la mère n’avait rien à voir avec l’Autre...(voir2seminaires) . Enfin, chacun sa cuisine de l’Autre et sa recette pour l’accommoder : « Ce stade est essentiel pour comprendre la fondation du premier rapport à l’Autre, qui est ici la mère, et où nous trouvons la première forme de l’omnipotence ». (p.444)
« ...à ce qui, dans l’Autre, la mère en l‘occasion s’ouvre pour lui comme le signe de sa dépendance absolue. » (p.503)
La troisième partie de l’ouvrage tient le rôle titre : l’interprétation du désir.

Aux pages 103/104, on a enfin l’explication de la fameuse formule lacanienne « Un signifiant c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant » par Lacan lui-même ! La formule fit énigme, puisque Lacan prenait souvent la trace de  pied en exemple type du signifiant. Une trace de pied, pour le commun des mortels est un signifiant qui représente un sujet pour un autre sujet. Cinquante cinq ans après, ceux que la formule intriguait peuvent être à demi satisfaits :

« Je vous ai dit que le signifiant commence non pas à la trace, mais à ceci qu’on efface la trace. Cependant ce n’est pas la trace effacée qui constitue le signifiant. Ce qui inaugure le signifiant c’est qu’elle se pose comme pouvant être effacée. Autrement dit, Robinson Crusoè  efface la trace du pas de vendredi, mais que fait-il à la place ? S’il veut la garder, cette place du pied de Vendredi, il fait au minimum une croix, c'est-à-dire une barre et une autre barre sur celle-ci. Et ceci est le signifiant spécifique. Le signifiant spécifique se présente à la fois comme pouvant être effacé, et comme pouvant, dans l’opération même de l’effacement, subsister comme tel. Je veux dire que le signifiant se présente déjà comme des propriétés propres au non-dit. Avec la barre, j’annule ce signifiant, mais aussi je le perpétue indéfiniment, j’inaugure la dimension du signifiant comme tel... »

Ça peut se tenir. Mais si Robinson crut Zoé, les non dupes errent ! Quid en effet si Robinson, non pas découvrir une trace de pas eut découvert un tumulus ou un dolmen ? Le tumulus ne s’efface pas comme une trace de pas et il signifie, tout autant que la trace, la présence d’autres hommes, ceux qui le construisirent ! Comment nommer alors ce tumulus ? Ce n’est pas un symbole pour Robinson, puisque qu’il n’a pas la même culture que les habitants éventuels de cette île. Le tumulus restera donc un signifiant qui représente un autre sujet pour le sujet ! On n'en sort pas !

Page 123, à propos d’un rêve sur la mort du père, Lacan dit : « ....il restitue les traces du complexe d’Œdipe, qui sont celles du désir infantile de la mort du père – il était mort selon son vœu. » En 1958, l’Œdipe était encore le souhait de la mort du père. Depuis, selon certaines études, le caractère réel et irréversible de la mort ne serait perçu par l’enfant que vers l’âge de sept ou huit ans. Le complexe d’Œdipe se situant lui, entre trois et cinq ans. Dans leur « Dictionnaire de la psychanalyse » (Fayard 1997) Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, emploient  dans l’article concernant l’Œdipe les termes de sentiments  hostiles à l’égard du père, pas de désir de mort.

La troisième partie de l’ouvrage s’essaie à une distinction entre le désir du névrosé et celui du pervers.
Comme d’autres séminaires, traitant par à-coup du sujet ont déjà été publiés, on ne dira pas que nous avions la réponse, mais que le bât blesse toujours au même endroit : l’amalgame entre le pervers et les perversions. En quoi les désirs du masochiste ou du sadique seraient-il identiques dans leurs parcours, car c’est là que ça se joue un peu quand même, à celui de l’exhibitionniste ? Étant entendu, pour la majorité des écoles analytiques, que pour le sadique et le masochiste le désir est lié à la pulsion de mort, il est donc à interroger dans une dialectique naturelle, alors que le désir pervers de l'exhibitioniste est à interroger dans une dynamique psychique, culturelle. Encore que...

La page 572, la dernière, clôt l’ouvrage sur un hommage à son invention, la séance courte :

« La coupure est sans doute le mode le plus efficace de l’interprétation analytique. Cette coupure, on veut la faire mécanique, la soumettre à un temps préfabriqué. Eh bien, non seulement nous la mettons effectivement tout à fait ailleurs, mais nous ajoutons que c’est l’une des méthodes les plus efficaces de notre intervention. Sachons y insister et nous y appliquer»

Il a été entendu.
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Deux Séminaires de Lacan
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L'œuvre colossale de Jacques Lacan a fasciné des générations d'intellectuels, de philosophes et de penseurs. Disséquer cette œuvre et cet enseignement comme un cadavre sur une table, n’est pas le but de ces propos. Par ailleurs, la totalité des Séminaires n'ayant pas encore été publiée, cela reste un frein important à une « autopsie ». Lacan a été un apport majeur et irremplaçable à la psychanalyse, non seulement en France, mais dans le monde.
Toutefois, si la totalité de son œuvre n'a pas encore été publiée, ce qui l'est à ce jour est suffisant pour se faire une idée de l'impact de sa pensée. D'aucuns ont pu dire que Lacan a été le fossoyeur de la psychanalyse. C'est possible, Lacan était un psychanalyste athée de la foi psychanalytique. Mais le lacanisme, par son éclatement, joua bien involontairement ce rôle plus que Lacan lui-même.

Ces quelques lignes concernent les deux derniers séminaires de Lacan publiés, les Livres XVI et XIX. Pour ce qui est du Livre XIX...ou pire, le tout dernier, il s’est tenu en 1971/1972. On ne peut pas dire que ce soit une cuvée exceptionnelle. En se promenant d’un séminaire à l’autre, il n’est pas meilleur qu’un autre ou le précédent, il n’est pas mieux  ...ou pire.  C’est du Lacan. Donc de l’équilibre, précaire par définition.

On se promène sur un sentier de crête à très haute altitude où soufflent des vents violents et il faut faire très attention de ne pas chuter d’un côté ou de l’Autre. En amont de ce sentier, abrupt et vertigineux,  on voit miroiter le génie du penseur, on reste scotché devant ses constructions hypothétiques qui s’effectuent sous nos yeux  écarquillés. Le vertige nous saisit dans une phraséologie ésotérique qu’il faut décoder avec une grille imprécise, floue et en perpétuelle évolution. Une parole de Maître qui éblouit,  qui se devine plus qu’elle ne se comprend. Mais trop de clinquant aveugle parfois le marcheur prudent qui jette alors son regard vers l’aval, tout aussi abrupt et dont la verticalité brise l’état de fascination hypnotique du lecteur. Mieux vaut ne pas trop s’attarder sur ce sentier de crête et rallier le col en se posant tout de même quelques questions. On pense trouver les réponses en se retournant quand le col est atteint, mais le brouillard est tombé. Poudre aux yeux ou génie ?  La lecture des Séminaires parus à ce jour -et quelques autres- n’a pas encore apporté de réponses claires.

Le regard se trouve alors sur la face déjà vu. L’objet a reste cette sensation nostalgique qu’ont toujours chantée les poètes, sans vraiment la faire saisir. La Femme « pas-toute » demeure un mystère poétique et une énigme, ce qu’elle est pour tous depuis la nuit des temps. Il va donc falloir, à partir de là, essayer de construire quelque chose qui s’approche du réel en cernant l’ineffable, mais à l’aide de matériaux pas tout à fait concrets. Il faudra comprendre cette inquiétante étrangeté et l’approcher avec une connaissance qui se devine autant qu’elle se transmet. 
Mais ce n’est pas si simple, car comme l’écrit Lacan :

« Le discours analytique n’est pas un discours scientifique, mais un discours, dont la science nous fournit le matériel, ce qui est bien différent »
(Livre XIX, p. 141.)

En ce qui concerne le Livre XVI,  le Séminaire s’est tenu entre 1968 et 1969, il fut livré au public en mars 2006 avec pour titre " D'un Autre à l'autre ". Ce séminaire s'est tenu l’année où Lacan fut expulsé des locaux de l'Ecole Normale Supérieure, la Direction lui ayant reproché de faire des conférences "…mondaines, incompréhensibles à quelqu'un de normalement constitué". C'est faux : le Séminaire Livre XVI est presque lisible.

Ce n'est donc pas le "dernier cri" de la psychanalyse qui est exposé dans cet ouvrage du Séminaire, puisqu'il est publié 37 ans après que Lacan l'a tenu. Il est question dans le Livre XVI qui a pour titre « D’un Autre à l’autre » de l'Autre et de l'autre, l'Autre avec un grand A, le grand Autre étant le signifiant qui détermine un lieu symbolique -le langage, la loi, l'inconscient ou Dieu- L'autre avec une minuscule étant l'autre de l'altérité ou du miroir.  
Le but de ces lignes est donc une visite critique de ces deux livres. La mode en ces temps-là était plutôt "col mao", le Livre XVI penche vers une marxologie lacanienne ; le chapitre premier s'intitule d'ailleurs : "De la plus-value au plus-de-jouir". S'ensuivent quelques chapitres consacrés à Pascal et à son Pari, car chez le très catholique penseur Jacques Lacan, il n'est pas un ouvrage où Dieu est absent, même si cette année-là, la mode était au matérialisme dialectique.

Le signifiant

C.G. Jung avait inventé en son temps les "archétypes", mais Lacan ne voulait absolument rien devoir à Jung, il avait pris ses précautions depuis longtemps, bien avant sa rencontre avec C.G.Jung en 1954. Pour ce faire il demanda à Roland Cahen une lettre de recommandation en sa faveur, Cahen lui aurait alors tenu les propos suivants :

"Ecoute mon vieux, dit-il, entre tes signifiés et nos archétypes nous sommes cousins germains" Lacan opposa un refus catégorique: "Jamais, répondit-il, mais je souhaite aller voir Jung…"

Effectivement, un signifiant n'est pas un archétype. On peut s'y tromper et Lacan n'est pas vraiment parvenu à expliciter la différence, à trancher. Dans son séminaire il reviendra à plusieurs reprises sur les archétypes jungiens sans jamais parvenir à les isoler véritablement des signifiants :

"L'homme a en effet beaucoup plus d'information sur la réalité qu'il n'en acquiert par la simple pulsation de son expérience. Mais il manque ce que j'appelle les voies préformées. [ ] Mais que sait-il de naissance ? [ ] Il a déjà un certain repérage, une certaine connaissance
 [ ] co-naissance de la réalité qui n'est pas autre chose que ces Gestalten, les images préformées. L'admettre est non seulement une nécessité de la théorie freudienne, mais une exigence de la psychologie animale.
"

Ces voies préformées ne sont en aucun cas des archétypes, ces derniers, pour Lacan, sont inutiles :

"Ouvrez pour le savoir les livres de M. Jung et de son école, et vous verrez que des images, il y en a à n'en plus finir -ça bourgeonne et ça végète de partout- , il y a le serpent, le dragon, les langues, l'œil flambant, la plante verte, le pot de fleurs, la concierge. Ce sont toutes des images fondamentales, bourrées de significations, seulement on n'en a strictement rien à faire, et si vous vous baladez à ce niveau, vous ne réussissez qu'à vous perdre avec votre lumignon dans la forêt végétante des archétypes primitifs."

Malgré tout, cette psychanalyse lacanienne, sous-tendue par la pensée chrétienne, ne réfute pas que quelque chose soit présent dans l'homme dès le départ, quelque chose qui lui est transmis, et ce quelque chose n'est pas neutre :

"Dès avant que des relations s'établissent qui soient proprement humaines, déjà certains rapports sont déterminés. Ils sont pris dans tout ce que la nature peut offrir comme support, supports qui se disposent dans des thèmes d'opposition. La nature fournit, pour dire le mot, des signifiants, et ces signifiants organisent de façon inaugurale les rapports humains, en donnent les structures et les modèlent."

Donc quelque chose qui déborde la nature habite le sujet et régit son développement individuel. Le problème est alors celui de la quantification et de la qualification de ce qui est déjà là. On ne peut plus, quelle que soit la nomination qu'on lui donne, à partir du moment où l'on admet la présence de quelque chose d'installé, de préétabli -défini ou indéfini mais agissant le sujet- procéder à une élaboration de la structuration du psychisme. Car ce quelque chose déjà là peut aussi bien s'appeler Libre arbitre, Loi de la meute ou Saint-Esprit. On ne peut alors, avec notre lumignon, que se perdre dans la forêt végétante des signifiants primitifs.
Comme le dit Lacan lui-même, pour faire sortir le lapin du chapeau, il faut l’y avoir mis au préalable. Bref, les uns et les autres parlent presque de la même chose, mais dans ce monde de folies et de barbarie qu'est la psychanalyse l’Un ne veut rien devoir à l’Autre…
Carl-Gustav Jung inventa l’imago que le freudisme conserva en héritage, chez Jung l’imago devint l’archétype de la mère. Chez Lacan, à défaut d’archétype, on ne sait pas trop si la mère ou la femme est ou devient un signifiant :

 [La femme] « Je ne dirai pas non plus qu’elle soit Autre, parce qu’elle n’existe pas dans cette fonction, de la nier. Elle est ce qui, dans mon graphe, s’inscrit du signifiant de l’Autre barré. La femme n’est pas le lieu de l’Autre. Plus encore, elle s’inscrit comme n’étant pas l’Autre dans la fonction que je donne au grand A, celle du lieu de la vérité. »  (Livre XIX, p.206)

Et plus loin de continuer :

« C’est même pourquoi elle se fait signifiant de ce que, non seulement le grand Autre n’est pas là, ce n’est pas elle, mais qu’il est tout à fait ailleurs, au lieu où se situe la parole. » (p.206) (retour au texte du VIéme Séminaire)

Bienheureux ceux qui savent, ont su ou sauront un  jour ce qu’est véritablement l’Autre ! Tantôt Dieu, tantôt maman, tantôt mystère du langage ! Là, il y a quand même un petit problème, parce que si l’Autre est censé donner l’objet petit a au sujet, si l’objet oral est demande à l’Autre et l’objet anal demande de l’Autre,  et ainsi de suite, on peut se demander, pour parler simplement, si c’est Dieu qui demande au bébé de faire caca sur le pot  ou si c’est maman !  Mais Lacan nous le dit bien au début du paragraphe : "La femme s’inscrit du signifiant de l’Autre barré" Elle n’est donc pas l’Autre, elle est le signifiant barré de cet Autre. Si le grand Autre est là où se situe la parole, c’est bien de Dieu qu’il s’agit, car au commencement était la parole ou le verbe ou ce que l’on veut concernant le langage. Il n’en demeure pas moins que, généralement les enfants parlent une langue maternelle, apprise la plupart du temps, par le signifiant barré du lieu de l’Autre ! Et donc la femme, la mère, a tout de même un petit quelque chose à voir avec l’Autre !

Mais l’Autre et l’autre ayant été l’objet de la publication du séminaire XVI, c’est de l’Un que Lacan va nous parler cette fois.  En revenant tout de même un peu sur l’Autre... sans pour autant résoudre le problème.

« Puisque je vise cette année à vous parler de l’Un, je commencerai aujourd’hui à vous énoncer ce qu’il en est de l’Autre. » (p.111)

Bien sûr rien n’est énoncé sur l’Autre, dans les lignes qui suivent, sinon une logorrhée incompréhensible qui n’éclaircit pas les choses et dont le maître est un spécialiste, au chapitre suivant on a de nouveau affaire au Un :

« Cela met en question la dyade avancée par lui [Freud] d’Éros et de Thanatos. Si cette dyade n’était pas soutenue d’une autre figure, qui est précisément celle où échoue le rapport sexuel, à savoir celle de l’Un et du Pas-un, c’est à savoir zéro, on voit mal la fonction que pourrait tenir ce couple stupéfiant. Il est de fait qu’il sert, au profit d’un certain nombre de malentendus, d’épinglage de la pulsion de mort, ainsi dite à tort et à travers. En dépit de ce discours sauvage qui s’institue de la tentative d’énoncer le rapport sexuel, il est strictement impossible de considérer la copulation de deux corps comme n’en faisant qu’un. »
(Livre XIX, p.126)

Dans le séminaire précédent (Livre XVI), Lacan ne s’était pas attardé sur le fameux « il n’y a pas de rapport sexuel » mais il signalait toutefois qu’il s’agit toujours de la rencontre de deux objets partiels, d’où ce fameux énoncé qui fit beaucoup de bruit et couler beaucoup d’encre.  
Le « Il n’y a pas de rapport sexuel... » est revisité dans le livre XIX, il en partage la construction avec le Yad’lun.  L’argument avancé est, cette fois, que l’homme et la femme n’ont pas le même rapport au signifiant phallus. Autant dire qu’il n’y a pas non plus d’entrecôte marchand de vin ! Vu qu’il s’agit, dans le repas, de la rencontre de deux objets partiels : la bouche du mangeur et le morceau de viande tiré d’une carcasse de vache, rajoutons à cela la sauce comme objet a et le tour est joué -surtout que la faim ne disparaît jamais complètement !- nous pouvons donc écrire sans fausse note : il n’y a pas d’entrecôte marchand de vin et la pulsion rate toujours son objet !
La seule satisfaction véritable et définitive, chez Lacan, se trouve dans la mort. Elle est l’ultime jouissance pour ne pas dire La jouissance. Rien ne permet de s’inscrire en faux contre  cette assertion. Il existe chez tous les êtres un état permanent d’insatisfaction, mais ramener cet état d’insatisfaction à la sphère du désir, et donc qu’on le dise explicitement ou non à la sexualité, c’est aller un peu vite en besogne. Les théologiens peuvent en faire tout autant : toute âme a soif de Dieu et n’est jamais rassasiée sauf à le rencontrer.
La copulation de deux corps n’a jamais été définitive, l’amour absolu se rêve chez les adolescents et n’existe que dans les préceptes bibliques :

« C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair ». (Genèse 2-24).

L’objet petit a

Invention lacanienne, l'objet petit a ou (objet a) est un tricotage analytique qui tire sa source de Karl Abraham (l'objet partiel), de Mélanie Klein (le bon et le mauvais objet) et de Donald Woods Winnicott (l'objet transitionnel). L'objet a fut introduit par Jacques Lacan en 1960 et 1961. S'il est inspiré des trois objets cités ci-dessus, il s'en distingue par son originalité. Il peut être défini par l'expression suivante : "Cause du désir qui se dérobe au sujet". En forçant un peu le trait, cet objet a que perd en grandissant le petit d'homme, n'est pas sans évoquer le mythe de l'âge d'or ou le paradis perdu de l'enfance que chantent les poètes, voire le paradis tout court. Il est qualifié par Lacan de reste, rebut, chute. Le paradis fut effectivement perdu après la "chute", comme la jouissance est perdue avec l'objet petit a. On pourrait dire de cet objet a qu'il est en quelque sorte l'archétype de l'âge d'or ou la métaphore corporelle du paradis perdu. Au départ, plusieurs "objets" constituaient l'objet petit a :

"Quatre bords définissent quatre objets a : le sein, les fèces ou scybales, le regard, la voix. Le placenta, les enveloppes, le prépuce, le rien, d'abord comptabilisés dans la liste ne seront pas retenus après L'angoisse". [...] Qualifié de reste, chute, rejet, déchet, perte, l’objet a est un objet séparable du corps car, séparé de nature, il est plaqué, accroché au corps. Les objets a sont des ambocepteurs entre la mère et l’enfant. »

Le prépuce ne sera pas retenu et pour cause : c'est un peu gênant pour les dames, ont-elles un objet petit â(me) ? Le flot urinaire compté au départ ne sera pas retenu non plus, le phallus disparaîtra, le rien également, la douleur aussi. Au départ donc cet objet petit a, constitué d'une foule d'objets partiels, détachables du corps, aurait certainement gagné à s'écrire "objet petit tas". Si certaines suppressions étaient nécessaires, le flot urinaire et la douleur sont certainement des composants mnésiques de cet objet.
Cet objet a est tantôt support du désir, tantôt cause du désir, tantôt but du désir. Il est effectivement tout cela, ce qui ne simplifie pas les choses. C'est le parfait smilblic : on ne le trouve jamais !
Cette introduction de l'objet a va bouleverser la théorie et la clinique lacaniennes. Dans la théorie il va permettre d'étayer la structure perverse (le pervers étant celui qui conserve une relation avec son objet a) et du point de vue "clinique" la pulsion ratera toujours son but en contournant son objet. Cet objet petit a et son implication vont donc jouer un rôle prépondérant dans la différentiation théorique entre la perversion et la névrose.
On n'a pas beaucoup avancé depuis Freud qui définissait la perversion comme le négatif de la névrose :


"La névrose est pour ainsi dire le négatif de la perversion"

C'est peut-être à une simple fin de justification théorique que Freud considéra la perversion comme le négatif de la névrose. Tous les pervers ne sont pas exempts de troubles névrotiques ou de phobies et il est facile d'observer que l'on peut être névrosé et pervers. Ce qui n'empêche pas Lacan d'emboîter le pas à Freud :

"La névrose c'est le rêve plutôt que la perversion. Les névrosés n'ont aucun des caractères du pervers."

Comme il faut à tout prix faire une différence pour que s'étaie la théorie, le névrosé ne jouit pas, alors que le pervers, lui, jouit, car il a conservé une relation privilégiée avec son objet a :

"Ceci se trouve indiqué déjà, et, en quelque sorte, ouvert, par ce que nous avons pu dire de la conjonction du sujet pervers avec l'objet a, qui s'étale littéralement dans la pratique masochiste." (Livre XVI, P.352)

On ne peut là, qu’être d’accord avec Lacan. Effectivement on observe dans beaucoup de formes de masochisme un véritable va-et-vient entre le Sujet et la jouissance qu’il parvient à tirer de l’objet petit a. Le masochiste jouant au bébé et à la nurse, emmailloté dans ses couches culottes, obtient cette jouissance avec son objet a par le jet d’urine.
Celui qui se fait enrouler dans de la cellophane afin d’avoir une abondante sudation retrouvera le contact avec le liquide amniotique, l’amateur de fessées retrouvera son objet a par la douleur. Hélas, l’enveloppe placentaire, objet ambocepteur par excellence, n’a pas été retenue comme constituant de l’objet a. Pas plus que le flot d’urine ou la douleur.
Il est dommage que Lacan ait réduit à quatre composants cet objet petit a. S'il était utile d'y enlever des aberrations (le rien, le prépuce, le phallus….) cet objet a aurait dû être conservé comme ce qu'il désigne au départ : un reste inconnu.
Par ailleurs, si on peut observer dans certaines pratiques masochistes que le sujet tire sa jouissance de l’objet a, ce n’est pas le cas pour toutes les pratiques masochistes. Il n’existe pas de  jouissance spécifique aux masochistes. Il y a plusieurs formes de masochismes et plusieurs pratiques dont les origines et les causes sont parfois aux antipodes les unes des autres. C'est utiliser un raccourci commode que de mettre sur un mot des pratiques diverses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. Le raccourci emprunté  (le pervers et l'objet a non pas les perversions et l'objet a) occulte bien des paysages énigmatiques et laisse nombre de questions sans réponses. Non seulement tous les pervers n'ont pas le privilège de jouir de a mais tous les masochistes n'entretiennent pas une relation avec lui. Il semblerait d’ailleurs que les commentateurs de Lacan ne soient pas toujours d'accord entre eux et avec le Maître quant à la fonction de chacun des constituants de l’objet a :

"... l'objet oral est l'objet de la demande à l'Autre ; l'objet anal est l'objet de la demande de l'Autre. Tous deux instaurent une relation duelle. L'objet scopique est l'objet du désir à  l'Autre ; l'objet vocal est l'objet du désir de l'Autre."

Lacan ne semble pas d'accord, puisqu’il énonce le 7 mai 1969 :

"Rendre a à celui de qui il provient, le grand Autre, est l'essence de la perversion." (Livre XVI, p.301)

Dans cette phrase, pour Lacan, l'objet a provient entièrement de l'Autre. C'est une belle formule, mais qui ne semble pas tenir la route longtemps. En effet ; de deux choses l'une : ou bien l'objet a prend naissance dans un rapport dialectique entre le sujet et l'Autre ou bien il vient uniquement de l'Autre. Et il ne peut en ce cas y avoir rapports d'échanges, de demande et de réponse à la demande. Malgré sa fragilité cet objet a est certainement une des plus grandes trouvailles de Lacan. Elle a permis d'avancer des théories et de placer des hypothèses en ce qui concerne certaines perversions.

Dans le Livre XVI Lacan parle du masochisme à plusieurs reprises. En 1969, Gilles Deleuze avait déjà publié sa Présentation de Sacher Masoch. Comme Lacan fut son invité à l'Université de Lyon en 1967 et que Deleuze donnait du "Cher Maître" à Lacan, le cher Maître lui rendit hommage dans son séminaire du 22 janvier 1969 :

"La jouissance masochiste est une jouissance analogique, le sujet y prend de façon analogique la position de perte, de déchet, représentée par a au niveau du plus-de-jouir. Dans son effort pour constituer l'Autre comme un champ seulement articulé sous le mode de ce contrat sur lequel notre ami Deleuze a mis si heureusement l'accent pour suppléer à l'imbécilité frémissante qui règne dans la psychanalyse, le sujet joue sur la proportion qui se dérobe, en s'approchant de la jouissance par la voie du plus-de-jouir." (Livre XVI, p. 134.)

Effectivement Gilles Deleuze fut celui qui mit en valeur le "contrat" masochiste, il en fit même une condition obligée du masochisme. Or si le contrat existe, tous les masochistes ne sont pas des contractants. Deleuze développa son analyse du masochisme sur un cas, celui de Sacher Masoch, qui fut un masochiste "contractant" et dans lequel l'élément dominant est féminin. Il fit de ce cas une généralité. Comme la psychanalyse, malgré toutes ses tentatives, ne parvient pas à développer une genèse convenable du masochisme, Lacan, en 1969, saute sur l'occasion et s'en remet à Deleuze en lui refilant le bébé.

Des chiffres et des lettres

Les mathématiques, bien sûr, ne sont pas absentes de ces deux séminaires. La mode était alors à la théorie des ensembles sur laquelle Lacan s’étend assez longuement, mais au niveau du signifiant phallus les opérations les plus simples sont les meilleures, on peut soustraire le moins un au Yad’lun, la prévalence phallique y laisse quelques plumes :

« Au niveau d’au moins un il est possible que soit subvertie la prévalence de la fonction phallique » (Livre XIX, P.46)

Ou pour le dire plus simplement, il est possible aussi que cette prévalence de la fonction phallique ne soit pas du tout une prévalence... et que le psychisme, sans nier l’importance du signifiant phallus, ne se soit jamais organisé à partir du phallocentrisme freudolacanien. Mais c’est une autre histoire...

Avec ce Yad’lun a-t-on perdu le signifiant maitre ? Où est-il passé ? Le signifiant phallus est-il devenu le Yad’lun ? Verra-t-on les sapeurs de la Légion nous chanter « Tiens voilà du Yad’lun, voilà du Yad’lun... » ?

« C’est toujours du signifiant que je parle quand je parle du Yad’lun. Pour étendre ce d’lun à la mesure de son empire, puisqu’il est assurément le signifiant-maître, il faut l’approcher là où on l’a laissé à ses talents, pour le mettre au pied du mur. » (Livre XIX, p.152)

Chez Lacan, bien évidemment, le langage prime toujours sur tout ; à force de vouloir le faire primer, le corps, ses besoins, son environnement, ses désirs disparaissent totalement :

« C’est là, dans cet ordre, que quelque chose est conséquent comme effet du langage, à savoir le désir » (Livre XIX, p.216)

Le désir donc, et cela revient régulièrement à chaque séminaire, est un effet du langage. Les témoignages concernant les odeurs, les formes, les matériaux et les matières comme déclencheurs du désir sont nombreux, on ne voit pas en quoi cela concerne le langage. Mais les tenants du tout-langage répliquent aisément que ces objets sont des signifiants qui renvoient au signifiant du désir dans la chaîne signifiante et le tour est joué... 

Les propos du 8 décembre, par contre, plongent le lecteur dans la perplexité, rien de ce qui se situe en dehors du langage n’existe, même pas les mouvements psychiques :

« Mais qu’est-ce que la forclusion ?  Assurément, elle est à placer dans un registre différent de celui de la discordance. Elle est à placer au point où nous avons inscrit le terme dit de la fonction. Ici se formule l’importance du dire. Il n’est de forclusion que du dire, que de ce que quelque chose qui existe puisse être dit ou non – l’existence étant déjà promue à ce qu’assurément il nous faut lui donner de statut » (Livre XIX, p.22)

Les lecteurs de Lacan pensaient jusqu’à ce jour qu’était forclos ce qui n’avait pas été symbolisé ! Le langage ressortant de la fonction symbolique, on ne peut qu’être véritablement surpris d’apprendre qu’il n’est de forclusion que du dire ! Même le vieux Vocabulaire de la psychanalyse, à l’article Forclusion stipule bien que : « Les signifiants forclos ne sont pas intégrés à l’inconscient du sujet. » S’il n’est de forclusion que du dire, ce dire est obligatoirement passé par l'espace et l’étape de symbolisation qu’est le langage, car le langage ressort de l’ordre symbolique et se trouve dans le sujet. Ce qui peut être dit ou non dit relève d’un autre mouvement psychologique que celui de la forclusion. Comment ce qui a été symbolisé peut-il être « forclos », puisqu’est forclos ce qui n’est pas intégré à l’inconscient ? Nous assistons, là encore, à ce que Roustang appelait une fuite à l’avant devant chaque nouvel énoncé. Le mieux, en la matière, étant l’introduction du concept de lalangue :

« C’est le 4 novembre 1971, dans son séminaire de retour à Sainte-Anne, Le savoir du psychanalyste, que pour la première fois Lacan propose ce nouveau mot. Comme par hasard, c’est en faisant un lapsus, une bévue, qu’il l’introduit. Au lieu de citer le « Vocabulaire de psychanalyse » de Laplanche et Pontalis, il dit le « vocabulaire de philosophie »...dont l’auteur est Lalande. » (Eric Porge, Jacques Lacan, p.108, éd. Erès)

Le lapsus du Maître devient théorie.


De l’humour...

...Aussi, comme il y en a quasiment dans chaque séminaire et des remarques intelligentes sur la psychanalyse parcourent ces deux ouvrages. Comme les articles et livres concernant les dérives et les dangers d’une psychanalyse récupérée par l’Ordre médical étaient,  en 1972 à l’ordre du jour, Lacan jette deux ou trois petites phrases éclairantes sur le sujet, que l’on ne peut qu’approuver :

« On ne peut même pas dire que ça va jusqu’à faire du médecin une sorte de provocateur. Parce que leur plate-forme avec le discours de la science devenait plus exigüe, les médecins se sont arrangés pour mettre la psychanalyse à leur pas. Et ça ils s’y connaissaient, d’autant plus que le psychanalyste, étant fort embarrassé de sa position, était d’autant plus disposé à recevoir les conseils de l’expérience. » (Livre XIX, p.197)

Et comment mieux résumer la chose qu’en parlant de la fameuse « didactique » ?

 « C’est pourquoi il vaut mieux qu’il soit passé par là dans l’analyse didactique, qui ne peut être sûre qu’à n’avoir pas été engagée à ce titre » (Livre XIX, p. 175)

De l’intime et de l’humour aussi dans ce séminaire : Lacan nous fait savoir qu’à cause d’une grève EDF, le 10 mai 72, il s’est trouvé dans le noir et que quelqu’un a cassé son verre à dents. Il demande donc à l’assistance de lui en offrir un autre ou un... Autre, allez savoir !  
Les coupures d’électricité emmènent toujours des petits papins :

« En plus, à cause de la même coupure, on m’a cassé un verre à dents auquel je tenais beaucoup. S’il y a ici des gens qui m’aiment, ils peuvent m’en envoyer un autre. » (Livre XIX, p.182)

Un gentil participant lui en a offert un autre, Lacan le remercie le premier juin 72 (p.198.)

Quoi qu'il en soit, il est regrettable qu'un travail effectué dans les années soixante et soixante-dix soit publié aussi tardivement. Car, cet enseignement, malgré son manque de clarté et ses contradictions, même s'il se devine en partie, s'avère être un outil précieux pour la compréhension des perversions à partir et au travers du champ psychanalytique, aussi hasardeux et aussi abscons  que soit ce champ, parce que, pour l'instant, il n'y en a pas d'autres...

Bibliographie :
Jacques Lacan Le Séminaire, Livre XVI et XIX, éd. Du Seuil.
E. Roudinesco et M.Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, éd. Fayard
E. Roudinesco, Jacques Lacan éd. Fayard, p. 348
J. Lacan, Le Séminaire, Livre II, éd. Du Seuil, 1955
J. Lacan, Le Séminaire, Livre V p.158 1958
J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, p. 23 éd. Du seuil 1964
Eric Porge, Jacques Lacan, un psychanalyste, éd. Erès, p. 197
S. Freud, Trois essais sur la sexualité, éd. Gallimard
J. Lacan, Le Séminaire Livre XX, éd. Du seuil, p. 80
Michel Mogniat, Le masochisme sexuel, éd.L’ Harmattan
Gilles Deleuze, Présentation de Sacher Masoch éd. De minuit
Jean Cottreaux, Le livre noir de la psychanalyse, p.243, éd. Les arènes
J. Laplanche et J.B Pontalis, Le vocabulaire de la psychanalyse, éd. PUF  
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Je parle aux murs

Un petit ouvrage éd. Du Seuil que publie Jacques Alain Miller, il s’agit de trois conférences que Lacan donna à la chapelle de l’hôpital Sainte-Anne en parallèle  à son Séminaire de 1971/72. Ça s’intitule « Je parle aux murs ». Comme c’est écrit sous forme de livre et que les murs savent écrire mais ne savent pas lire, on le lira sans se cogner la tête contre les murs : c’est du Lacan.
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Mon enseignement

 

Cet ouvrage réuni trois conférences que donna Jacques Lacan en 1967 et 1968 à un parterre de psychiatres. On aurait pu s’attendre à un langage médico-psychanalytique incompréhensible au vulgum pécus, hé bien non ! C’est un des paradoxes de Lacan que de tenir un langage ésotérique au commun des mortels et d’employer un langage clair aux spécialistes ! D’ailleurs l’ouvrage est paru dans la collection « les paradoxes de Lacan » A quoi bon faire semblant de s’étonner ?
Comment mieux résumer plus simplement qu’il ne le fait ce qu’est une psychanalyse ?
« - Malgré tout, si des gens s’engagent dans cette affaire infernale qui consiste à venir voir un type trois fois par semaine pendant des années, c’est tout de même que ça a en soi un certain intérêt. »
Puisque je vous dis que c’est lisible !
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Télévision

C’est sur le mode de l’entretien qu’est écrit Télévision de Jacques Lacan, éd. Du Seuil. On aurait pu s’attendre avec cet ouvrage, destiné au départ à tous les publics, à un écrit clair et abordable aux néophytes.
Il n’en est rien, s’il est un bon résumé de l’œuvre du psychanalyste, son langage reste ésotérique et s’adresse en réalité aux habitués de l’écriture du Maître. La marge est occupée par des petits schémas et des formules algébriques censées en faciliter la lecture qui noient le lecteur débutant.
Les initiés savaient déjà « qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre » mais quand on tombe sur un : « ...soit qu’il n’y entendait pas que j’Autrifiais l’Un... » Formule qui a une certaine saveur aux habitués, mais laisse les autres (avec un petit a) sur le cucul !
Bonne révision tout de même de la pensée du Maître, à conseiller uniquement  aux aficionados.

On y trouvera également une certaine, Mon dieu, comment dire ? –pour paraphraser le style du maître- Une certaine animosité contre le discours habituel des psychanalystes. Lacan était rancunier certes, mais il est aussi l’intellectuel de sa génération qui le plus critiqué la psychanalyse :

« - La société, - dite internationale, bien que ce soit un peu fictif, l’affaire s’étant longtemps réduite à être familiale -, je l’ai connue encore aux mains de la descendance directe et adoptive de Freud : si j’osais – mais je préviens ici que je suis juge et partie, donc partisan -, je dirai que c’est actuellement une société d’assistance mutuelle contre le discours analytique. La SAMCDA. Sacrée SAMCDA ! Ils ne veulent donc rien savoir du discours qui les conditionne. Mais ça ne les en exclut pas : bien loin de là, puisqu’ils fonctionnent comme analystes, ce qui veut dire qu’il y a des gens qui s’analysent avec eux. »

Ca vaut quand même la lecture, non ?
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Le triomphe de la religion

Voici publiés en 2005, deux petits textes de Lacan. Jacques Lacan Le triomphe de la religion, suivi de Discours aux catholiques, éd. Du seuil. Le premier est une conférence donnée en 1960, le second est un entretien que Lacan a accordé à des journalistes italiens en 1974. Ce n'est certes pas là ce qu'on peut considérer comme le "fondement" de sa pensée, mais tant qu'à être dans le domaine du religieux, voyons grand et soyons thaumaturge. Lacan y parle de ses Ecrits de la façon suivante :
"Mes Ecrits, je ne les ai pas écrits pour qu'on les comprenne, je les ai écrits pour qu'on les lise [...] Ce que je constate par contre, c'est que même si on ne les comprend pas, ça fait quelque chose aux gens. [...] Ils n'y comprennent rien, c'est tout à fait vrai, pendant un certain temps, mais ça leur fait quelque chose."

Le pire c'est que c'est vrai ! De plus, ces deux petits textes sont écrits en langage clair et limpide, pour du Lacan, c'est assez rare...
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Imposture ou psychanalyse

 

C’est à partir de la biographie d’E. Roudinesco (Jacques Lacan, éd. Fayard) et de ses réflexions et connaissances personnelles que M. Larivière a écrit son essai qui porte en sous-titre « Masud Khan, Jacques Lacan et quelques autres, (éd. Payot). Sa thèse repose sur la transgression comme moteur de la création en psychanalyse.

C’est en effet en transgressant les règles de la psychanalyse que Lacan élabora sa réflexion. M. Larivière n’est pas un analyste en « vue sur la place », il est un analyste non-médiatique, ce qui valorise d’autant son travail. Il a, comme il l’écrit, tourné autour de l’orbite de l’EFP. Le début de son ouvrage traite en partie de l’impossible transmission de la psychanalyse et semble s’adresser aux « non-initiés » :

« Car si l’on peut enseigner la poésie, il est en revanche impossible d’enseigner comment on devient poète – et la même chose est vraie en matière de psychanalyse. » p.19

Mais on s’aperçoit très vite que son livre demeure difficile à comprendre pour qui n’a pas eu sa propre expérience du divan :« Il est même extrêmement difficile, à notre avis, de simplement parler de son analyse avec ce que les artistes lyriques appellent une voix posée... » p.33
Rapidement c’est le statut de l’analyste, sujet cher à Lacan, qui devient l’objet de l’étude de M. Larivière. Pour lui, et avec raison, « aucun analyste n’est jamais tout à fait certain de savoir en quoi, au juste consiste sa compétence » ni certain de la légitimité de la psychanalyse malgré les institutions dont elle s’est munie. Elle se doit, selon l’auteur, d’abandonner toute prétention scientifique. C’est une démarche qui relève plus de la littérature que de la science car l’inconscient ne sera jamais démontrable, il ne peut se connaître qu’à travers la parole qui a servi à le rendre conscient, l’objet même de la psychanalyse n’existe plus.

Ouvrage intéressant donc que cet « Imposture ou psychanalyse » qui aurait gagné à s’appeler « Les paradoxes de la psychanalyse » mais qui a une odeur de déjà vu ; nombre de lacaniens ont écrit sur le sujet, sur l’impossible transmission, sur la légitimité et sur la parodie de la psychanalyse. Le mérite de l’auteur tient à son « interprétation » sur la transgression comme outil et moteur de l’élaboration théorique. J. Larivière reconnaît bien volontiers que le précurseur en la matière s’appelait Jacques Lacan, dictateur-fondateur de l’EFP, psychanalyste atypique et théoricien génial qui invita en réalité, non à une relecture de Freud, mais à une remise en cause intégrale de la psychanalyse :

« Alors, si l’opération lacanienne de la comédie consiste à lever les voiles sur la psychanalyse, à écarter le rideau devant la scène sur laquelle la psychanalyse jouera son propre rôle, il n’y a plus de vérité psychanalytique que l’on pourrait enfin dire et transmettre. On touche là, selon nous, à la question de Lacan, la plus difficile à travailler. » p.97
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Les impromptus de Lacan

L’ouvrage de Jean Allouch, Les impromptus de Lacan, éd Epel, porte en sous-titre « 543 bons mots recueillis par Jean Allouch ». Ces bons mots ne sont pas tous, loin s’en faut des éclats de rire, mais ils nous permettent de pénétrer parfois dans une certaine intimité avec le Maître de la rue de Lille.
Pour qui n’a jamais lu tel ou tel analyste de son Ecole ou analysant de Lacan se lâchant et dire ses quatre petites vérités sur le Maître, la surprise risque d’être grande. Mais pour ceux qui ont déjà côtoyé le re-penseur de Freud par ses œuvres, ses biographies et des anecdotes de seconde main, ces impromptus seront la confirmation du caractère avide d’argent du théoricien de la psychanalyse. On y découvrira l’avidité prenant le visage de la mesquinerie pour côtoyer sans vergogne, aucune, le génie dans le même personnage. Du Guitry de « l’autre scène » avec de bonnes réparties, un moment agréable. Comme les anecdotes sont courtes on prend le rythme de lecture qu’on veut, à déguster comme une sucrerie coupant d’autres ouvrages.
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Le Lacan dira-t-on
Guide français lacanien

Le petit opuscule, sans prétentions, de Corinne Maier,  le « Lacan dira-ton » aux éditions Mots et Cie, vous fera passer un agréable moment. Le parlé lacanien illustré de la conversation courante est à emmener avec soi pour être dans le vent. Si le bruit du train couvre les conversations dites :
« La pulsion rythmique des roues masque la polyphonie du discours de l’Autre »
Une fois arrivé, si vous n’arrivez pas à replier le plan de la ville dites :
« Le rebouclage de ce graphe de la cité est énigmatique »
Enfin si vous ne comprenez pas tout à fait votre compagne dites-lui :
« L’allusivité de tes signifiants ne permet pas de percoler le mi-dire. »
Si vous ne la comprenez pas du tout, dites plutôt :
« Tes signifiants font énigme. »
Vous serez sûr d’avoir la paix cinq minutes....
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Lacan
De l’équivoque à l’impasse

C’est à un travail de dominicain que s’est livré l’ex-jésuite François Roustang, dans un ouvrage court, mais particulièrement riche qui a pour titre : « Lacan, de l’équivoque à l’impasse ». (éditions de Minuit)   C’est toujours avec plaisir qu’on retrouve la plume de F. Roustang, mais si dans ses premiers ouvrages l’écriture contenait du « witz » ce n’est plus le cas...
Avec un sujet aussi sérieux, n’importe quel auteur en aurait profité pour en coller 400 ou 500 pages, mais F. Roustang est austère et dépouillé comme une église cistercienne et il joue ici à l’économie de formules et de décorum (118 pages) en évitant les redites et les pages inutiles, manie répandue chez beaucoup d’essayistes.
L’écriture est dense et ne permet pas la moindre distraction au risque de perdre le fil.
Si l’ouvrage est sérieux dans le fond, la mise en forme laisse parfois un arrière goût de bâclage, des guillemets mal placés ou trop rares, le manque d’italiques lors de citations d’un autre ouvrage ajoute à la difficulté de lecture.  
L’auteur cite toutes ses sources en donnant des références très précises, les pages des œuvres citées sont toujours indiquées.
Bien évidemment, en 118 pages F. Roustang ne pouvait s’attaquer à l’œuvre entière de Jacques Lacan, mais il parvient tout de même à poser un doute sérieux pour le lecteur sur l’ensemble des hypothèses lacaniennes. C’est la raison pour laquelle il sélectionne une dizaine d’ouvrages de Lacan et s’attaque à quelques concepts majeurs de la théorie du Maître, particulièrement « l’inconscient structuré comme un langage » et le Réel de la trilogie RSI (Réel/Symbolique/Imaginaire), hélas, l’ouvrage du Séminaire sur le sujet n’a pas encore été publié officiellement à ce jour.

Un des principaux reproches qu’adresse F. Roustang à Lacan est le manque de définitions claires de ses concepts, manque de définitions qui oblige à une fuite à l’avant pour se sortir des difficultés qu’entraîne toute nouvelle proposition. Ce manque de définitions claires fait, par bonheur ou par malheur, que chacun peut s’approprier les concepts en les contorsionnant à son goût. Il faut reprendre ici la très belle formule de J-D Nasio qui se réclame « lacanmien » c'est-à-dire, ce qu’il a compris et intégré à sa façon l’œuvre de Lacan, comme tout un chacun. Le titre de l’ouvrage est tout de même assez sévère car on se demande s’il peut exister autre chose qu’une équivoque pour parler de cette chose ineffable qu’est l’inconscient. Mais il est vrai que les exposés lacaniens se veulent rigoureux tout en restant évasifs. Quant à l’impasse, même si l’école qu’avait fondée Lacan s’est éclatée en dizaines de structures après sa mort on peut tout aussi bien dire que c’est une richesse productive et que plusieurs directions ont vu le jour au carrefour de la mort du Maître. Ce qui n’exclut en rien l’impasse théorique bien réelle que  F. Roustang se plaît à décortiquer.

Les contradictions qui fondent le soubassement de la doctrine lacanienne sont exposées au grand jour dans l’ouvrage. Certes, comme il a été souvent répété, la psychanalyse est une praxis, elle se transmet et ne s’enseigne pas, même si une courte expérience d’enseignement fut tentée en Hongrie en 1919. Mais, Lacan n’inventa-t-il pas les mathèmes en psychanalyse ? Ce qui veut dire que ce savoir est objectivé, il devient de fait transmissible. Les structures qui ont survécu à son École délivrent aujourd’hui des Masters de psychanalyse dont les cursus se suivent à l’Université dans des départements de psychanalyse. Cet enseignement durable vit le jour du vivant de Lacan : en 1969 fut fondé à l’Université de Paris VIII un département de psychanalyse sous la tutelle de l’École Freudienne de Paris. Ce qui est tout de même curieux quand on met cet enseignement universitaire de la psychanalyse en regard des célèbres quatre discours de Lacan, qui opposait le discours de l’analyste à celui de l’universitaire. Faisant peu cas de ces propos, certains lacaniens prêchaient au moment où la psychanalyse entrait à l’Université, la mort de cette dernière.

On a assez souvent l’impression, dans l’ouvrage, de se trouver devant une antithèse des propos de Lacan, et bien naturellement, il manque à tout ceci une synthèse qu’il faut fabriquer soi-même avec la plus grande difficulté, sans toujours y parvenir, tant l’antithèse  de l’auteur est consistante.
À propos de « l’Inconscient structuré comme un langage » F. Roustang note ceci :

« Puisque la méthode psychanalytique n’utilise que le langage et que cette méthode permet d’atteindre l’inconscient, cet inconscient est structuré comme un langage, il est langage (Le Séminaire, Livre III, page 20.) Il est langage (Ecrits, page 866.) C’est un sophisme parce que l’on confond l’instrument de la recherche et l’objet de la recherche. » [...] La psychanalyse a pour instrument le langage et la psychanalyse n’a pas d’autre instrument que le langage. Cette affirmation sans cesse répétée par Lacan est tout simplement fausse, puisque le transfert tient en psychanalyse une large place et qu’il est, malgré les tentatives faites en ce sens, irréductible au langage ou au savoir. » (p. 61)

On ne peut qu’être en accord avec F. Roustang,  effectivement le transfert est plus qu'un échange de paroles analysables et sécables, il est un phénomène qui inclut aussi la parole mais qui n'est pas que paroles. Ou encore :

« ...l’inconscient est structuré comme un langage. Autant dire : puisque nous ne pouvons connaître certains caractères des objets que par les yeux, ils sont structurés comme les yeux. » (p.109.)

Un autre concept lacanien auquel s’attaque F. Roustang est celui du Réel de la trilogie borroméenne : Réel/Symbolique/Imaginaire. Le Réel fut introduit pour la première fois par Lacan en 1953. Il lui fut inspiré par un ouvrage de Meyerson et subit quelques variations importantes avant d’occuper sa place définitive. Dans le lacanisme, le Réel constituerait tout ce qui n’a pas été symbolisé ou qui est impossible à symboliser. À partir de là s’ouvre une multitude de réflexions et de concepts que chacun agrémentera à sa guise. Le psychotique ne symbolise pas le signifiant du Nom-du-Père, ce signifiant est forclos et fait retour dans le Réel par le biais de l’hallucination. On peut par ailleurs se demander quelle est la parenté entre cette forclusion qui entraine la psychose et le déni freudien responsable du clivage chez le sujet. On peut facilement y voir une même chose exprimée chez Lacan en termes plus abscons. Cette forclusion permet cependant un développement théorique plus complet. En résumé, dans un premier temps, seul le fou accède au réel par sa folie. Mais tout ce qui est impossible à symboliser ne sera pas forclos. F. Roustang repère très bien l’impasse de ce concept majeur :

« Le réel était produit par le psychotique par son impuissance à symboliser ; désormais le réel deviendra ce qui résiste à la symbolisation. Evidemment les deux réels en question n’ont plus rien à voir entre eux, puisque le réel du psychotique est une création qui mime le symbolique, alors que le nouveau réel proposé pour expliquer quelque chose du névrosé ou de l’être humain en général est un obstacle, une limite infranchissable, une butée. » (P.78.)

Plus qu’un obstacle, c’est un rajout : le rajout du réel du névrosé sur le réel du psychotique, une invitation à le prolonger et à le développer. En admettant que deux réels puissent exister -ce qui est déjà un non sens- qu’advient-il du nœud borroméen ? Car on ne peut inventer un nouveau réel et l’accoler ou le faire coexister avec le Réel du célèbre nœud !  
Au reste les choses sont beaucoup plus compliquées que cela, puisque, selon le mot même de Lacan : le réel n’existe pas ! Encore convient-il de prendre cette affirmation comme une demi-boutade.  Le réel est perçu par chacun d’une manière subjective, mais il a bien une fonction. Le Réel c’est l’Imaginaire qui se heurte au Symbolique, le Symbolique étant la rencontre de l’Imaginaire et du Réel. Ce Réel est donc bien inséré dans le nœud qui illustre la structure du sujet. S’il est inexistant, comment l’ôter de cette représentation et faire en sorte que les deux autres fonctions tiennent sans lui ? L’enlever c’est le désinsérerdes deux autres cercles, et si on enlève un seul élément tout s’effondre. François Roustang démontre bien ici la fuite à l’avant qu’entraine dans le lacanisme toute nouvelle proposition. Ce nœud borroméen est en fait le nœud gordien de la psychanalyse qui attend toujours son Alexandre...

Une autre cible de F. Roustang est le peu de place laissé par Lacan à la pulsion :

« Au cours de ses Séminaires, la notion de pulsion est plusieurs fois introduite, en vue de développements ultérieurs. La pulsion est en effet un obstacle majeur à la doctrine lacanienne.On sait que Freud en a fait le fond de l’inconscient et que, pour lui, c’est une force ou une charge énergétique qui a « sa source dans une excitation corporelle ». Mais Lacan ne veut pas entendre parler de force ou d’énergie, il va donc devoir proposer une autre interprétation. » (p.79.)

On pourrait s’inscrire en faux contre les propos de F. Roustang en arguant que justement Lacan a souvent parlé de pulsion scopique ou de pulsion sadomasochiste et n’hésitait pas, contrairement à Freud, à nommer les pulsions. Mais ce serait couper la parole un peu tôt à l’auteur :

« La dernière opération à effectuer est la réduction de la pulsion à l’objet a. Il a été affirmé plus haut que la pulsion rencontre l’impossible de la satisfaction. Donc puisque « la pulsion saisissant son objet apprend en quelque sorte que ce n’est justement pas par là qu’elle est satisfaite », puisque « aucun objet ne peut satisfaire la pulsion », puisque « l’objet de la pulsion est indifférent », cela nous conduit à donner à l’objet a « sa place dans la satisfaction de la pulsion ». Cet objet définitivement perdu pourrait être dit l’objet de la pulsion, mais alors la pulsion s’y perdrait. Or, comme elle est une force constante, on dira qu’elle tend vers cet objet en l’évitant sans cesse, donc qu’elle « en fait le tour ». C’est ce qu’exposera longuement la leçon suivante du Séminaire : la pulsion est un montage dont le but n’est point autre chose que ce retour en circuit ; elle n’aura pas d’autre fonction que de contourner l’objet éternellement manquant. (Le Séminaire Livre XI) » (P.86.)

Ce contournement de la pulsion est présenté par certains enseignants comme la théorie de l’ouvre bouteille. C’est elle qui est ici mise à mal. La pulsion contourne l’objet petit a sans jamais parvenir à l’atteindre. Peut-être serait-il bon de redéfinir la pulsion et d’aller chercher sa définition à la source, chez Freud :

"Si, en nous plaçant d'un point de vue biologique, nous considérons maintenant la vie psychique, le concept de "pulsion" nous apparaît comme un concept-limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l'intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l'exigence de travail qui est imposé au psychique en conséquence de sa liaison au corporel."

Si on se limite aux données freudiennes en utilisant un langage biologique, l’état de stase est induit par le travail de la pulsion. L’ex-stase est l’état qui suit la satisfaction de cette dernière. L’exemple de la pulsion de faim qui trouve sa satisfaction est la meilleure réplique qui puisse être faite à Lacan. Car on peut se demander par quel processus psychique la pulsion sexuelle viserait à ne pas atteindre un objet imaginaire alors que la pulsion de faim a un objet réel (la nourriture.) Il est également à noter que si la pulsion sexuelle n’atteint pas son but à cause de diverses impossibilités, la masturbation, si elle est possible, apportera également stase et ex-stase. Certes, pour se sortir de l’impasse, il suffit d’introduire un distinguo entre le désir et la fonction sexuelle proprement dite, ce que fit Jacques Lacan :

« Parmi les successeurs de Freud, seul Jacques Lacan a conceptualisé la notion de désir en psychanalyse à partir de la tradition philosophique pour en faire l’expression d’une convoitise ou d’un appétit qui tendent à se satisfaire dans l’absolu... »

Lacan a donc fait perdre au désir son essence sexuelle en le recouvrant d’une teinte philosophique. Alors que pour Freud, les signes du désir  « Ont toujours, un caractère sexuel, puisque le désir a toujours la sexualité pour enjeu.» (Ibid.) Le désir en version lacanienne est  insaisissable, non identifiable, puisque, comme le note Roustang « aucun objet ne peut satisfaire la pulsion ».  Cette dernière n’a plus grand-chose à voir avec les poussées de la libido freudienne. Freud a montré que l’origine des troubles psychiques avait souvent, pour ne pas dire toujours, un lien proche ou lointain avec la sexualité. Certes, Lacan ne nie pas que les pulsions existent, il ne nie pas non plus qu’elles sont dédiées à des zones. Mais, en insistant sur le fait qu’elles n’atteignent jamais leur but, il a, tout comme Jung avant lui, désexualisé la libido freudienne, Lacan a en fait donné une théorie à la psychanalyse de Jung. Il y a là une impossibilité de considérer la psychanalyse de Lacan comme une suite à la psychanalyse freudienne, elles sont antinomiques et les tentatives de tricotage  explicitant que Lacan est allé plus loin que Freud dans la notion de désir ne sont justement que du tricotage !

Si, comme le dit Lacan en reprenant la formule de Kojève, « Le désir de l’homme c’est le désir de l’autre » comment peut-on interpréter le viol ? Où se situe le désir de l’autre dans le viol ? Par ailleurs, si le rapport sexuel qui, selon Lacan n’existe pas, découle du désir de l’autre, l’échange sexuel ne devrait être possible que lorsqu’il y a mutualisation du désir. Or, ce n’est manifestement pas le cas pour tout le monde. Les prostituées, si cela peut arriver, n’ont pas toujours le désir de  leurs clients. L’érection et l’excitation sexuelle ne sont donc pas soumises à la condition du désir de l’autre. La pulsion sadique ne s’encombre pas du désir de l’autre et le sadisme, selon Freud, fait partie intégrante de la libido. Que devient la pulsion sadique dans le concept de désir lacanien ?
La psychanalyse que propose Jacques Lacan est une psychanalyse métaphysique, intellectuelle, elle est un regard sur soi qui n’est jamais saisi que dans le jeu de miroirs de la théorie, une entrée dans un labyrinthe de concepts indéchiffrables dans lequel se reconnaît peut-être  un jour le Sujet, mais ou l’Être n’advient jamais. Certes, cette psychanalyse n’est pas à rejeter, il est tout à fait possible que certains individus fonctionnent selon les schémas qu’a établis Jacques Lacan, pas tous.
Lacan disait lui-même que sa plus grande contribution à la psychanalyse était l’invention de l’objet petit a. Cet outil qu’est l’objet petit a, a été largement défini, trop défini. Il existe bel et bien, son utilité théorique est incontestable. Il a beaucoup de choses à voir avec la pulsion, de là à dire que cette dernière n’a pas d’objet et le contourne systématiquement il y a un monde. Cet objet a, quoi qu’il soit et quoiqu’il en soit, n’a pas encore fini de faire parler de lui ! 

Ouvrages cités :
François Roustang, Lacan, De l’équivoque à l’impasse, éd. De Minuit
S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, in Métapsychologie, éd. Gallimard
E. Roudinesco et M. Plon, article « désir »  du Dictionnaire de la psychanalyse éd. Fayard

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DES NOMS-DU-PERE

Ca date de 2005 et ça m’avait échappé. Un petit ouvrage de Lacan « DES NOMS-DU-PERE » qui contient deux cours de son Séminaire, en attendant que paraissent Le livre XXI. Un premier cours sur le RSI ou avec beaucoup d’humour Lacan montre bien la différence de nature entre Besoin et Désir :

« Qu’un homme puisse éjaculer à la vue d’une pantoufle ne nous surprend pas, ni qu’il s’en serve pour ramener le conjoint à de meilleurs sentiments, mais personne assurément ne peut songer qu’une pantoufle puisse servir à apaiser la fringale, même extrême d’un individu. »

C’est une leçon qui se lit agréablement, avec les petites contradictions ou les petits à-peu-près habituels, qui font que ma foi, on s’interroge et ce n’est pas un mal. Parlant de la fonction du langage, à la page 28  le Maître écrit :

« Né entre ces animaux féroces qu’ont dû être les hommes primitifs, le mot de passe est ce grâce à quoi, non pas se reconnaissent les hommes du groupe, mais se constitue le groupe. »

Ca ne marche ni pour les loups ni pour les lions, ni pour tout un tas d’animaux qui vivent en groupe et n’ont pas de langage à la fonction démonstrative, métaphorique ou métonymique. A la page 42 c’est sur le symbole que revient le Maître :

« Le tumulus ou n’importe quel signe de sépulture mérite très exactement le nom de « symbole ». C’est quelque chose d’humanisant. J’appelle « symbole » tout ce dont j’ai tenté de montrer la phénoménologie. »

De quoi se perdre un peu avec le « signifiant. » Car si la trace de pas  est désignée comme signifiant par excellence dans un de ses textes majeurs, la sépulture peut tout aussi bien être un signifiant : elle indique la présence d’autres humains. Comme sa théorie du signifiant s’est élaborée par étapes, pour devenir « définitive » en 1956, il ne faut pas considérer comme « fondateur » ce texte qui date de 1953.
L’autre leçon, intitulée « Introduction aux Noms-du Père » est la seule sur le sujet et fut donnée après sa radiation de didacticien de l’IPA.
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LACAN
Le maître absolu
de Mikkel Borch-Jacobsen

C’est plutôt rare, mais parfois les pourfendeurs de la psychanalyse savent aussi la critiquer de façon intelligente. C’est un ouvrage compliqué pour un sujet complexe que le livre de Mikkel Borch-Jacobsen, LACAN Le maître absolu (éd. Flammarion). Comme il est écrit en quatrième de couverture « Ni paraphrase d’école, ni critique hâtivement polémique, cet essai se propose d’introduire à la lecture de Lacan. » La lecture de Lacan est chose impossible, il y a des lectures de Lacan.
Ouvrage d’érudition dans lequel l’auteur entend s’attaquer à la théorie lacanienne dans son ensemble, c’est un essai, pas  un pamphlet ni une biographie. Heureusement pourrait-on dire, car l’auteur fait de Jacques Lacan un ami de Salvador Dali, que, selon diverses biographies, il ne rencontra qu’une seule fois, à New York.

Comme l’écrit l’auteur en citant Kojève «Tout homme est le fils de son temps » Lacan fut également le fils de son temps, sa théorie n’a pas surgi ex-nihilo de son cerveau vierge. Le travail de Borch-Jacobsen s’articule sur ce que Lacan doit à Kojève, à Heidegger, à Merleau-Ponty, à Sartre, à Levy-Strauss et à tant d’autres intellectuels de son temps...  Il y a tout au long de l’ouvrage un va et vient continuel entre les notions philosophiques qui ont  baigné cette époque et l’élaboration des concepts lacaniens. L’auteur démontre bien ce que doit Lacan à Kojève, dont il fut l’auditeur, allant jusqu’à emprunter à ce dernier les dénominations d’un de ses concepts les plus connus : « Le désir humain doit porter sur un autre désir » disait Kojève et Lacan a repris : « Le désir de l’homme est le désir de l’Autre. »

L’écriture est bonne, mais le style sans être ampoulé, fatigue par l’utilisation de mots coupés. Un style presque « lacanien », est-ce voulu ? Il est fréquent de trouver « dia-lectique », « ek-stase » là où ils n’ont peut-être pas be-soin d’être coupés. L’auteur s’excuse d’ailleurs du style en avertissement : l’ouvrage est une commande et la version remaniée d’une leçon. Une leçon de trois cent pages tout de même, une longue leçon. Le travail,  hélas, est un peu hachuré, il est fréquent que soit introduit un concept (le signifiant, l’inconscient, le Sujet...) qui sera développé bien des pages plus loin dans un autre chapitre. Quoi qu’il en soit, malgré de petits défauts, MBJ sait explorer les sujets qu’il aborde après les avoir introduits par un panorama général et explicatif.

Le premier sujet abordé concerne le moi et son impossible définition. Ce que Lacan a retenu de Freud, selon l’auteur, est tout ce qui relève de « l’analyse du moi ». Lacan, partant du narcissisme freudien où le « moi » peut être investi tel un objet, en fait un objet. Mais le problème n’est pas pour autant résolu :

« Le moi lacanien est le moi en tant qu’il se théorise, jamais le moi en tant qu’il « se » sent ou « s »’éprouve. » P.77

Oui, mais qu’est-ce que le moi qui s’éprouve ? Nous quittons là le domaine de la psychologie pour entrer dans la métaphysique. Une définition claire du moi s’avère une chose impossible.
Les bouddhistes se posent également la question, qu’est-ce que le moi ? Malin qui pourra y répondre. Le moi chez Freud est un vide que Lacan a en partie résolu en faisant du moi un objet psychologique.

"... Freud, de ce fait, a laissé beaucoup d'apories. Par exemple, le Moi chez lui est à la fois une fonction du réel et en même temps défini comme une surface, donc comme une image. Or il faut trancher : ou bien c'est une image que je peux aimer, c'est à dire un objet qui risque de totaliser ma libido, ou bien c'est une fonction du réel. C'était là une aporie que Lacan a résolue."
(Entretien avec Moustapha Safouan, in Quartier Lacan, éd. Denoël)

Un important sujet abordé dans l’ouvrage est la véritable « scansion » entre le freudisme et le lacanisme sur la place de l’analyste et son rôle, MBJ aborde le problème à la page 123 :

« Dira-t-on alors, pour tenter de concilier Freud et Lacan, que l’action de l’analyste consiste à dégager le désir des diverses formations imaginaires où celui-ci s’ « accomplit » fallacieusement du fait du refoulement ? Quel est en effet le but d’une analyse [...] ? Prendre conscience du désir refoulé nous dit Freud ; reconnaître le désir du sujet nous dit Lacan. »

Cette rupture entre Freud et Lacan abordée page 123 est développée à la page... 245 ! C'est un gros défaut de l'ouvrage que ces approches ébauchées qui sont développées tardivement. Freud nous dit que le désir s’étaye du besoin (le besoin de téter du nourrisson) qui se transforme en plaisir de la succion. Pour Lacan, sans renier ce principe causal, il en est autrement : s’appuyant sur un morceau choisi d’un texte de Freud (Esquisse d’une psychologie scientifique) Lacan voit dans le cri du nourrisson une demande de reconnaissance en tant que « Sujet ». Comme l’écrit MBJ :

« De là que son point de départ n’est pas malgré les apparences, le petit animal infans,  mais le petit humain parlant. [...] Le cri (le cri humain, car il est d’ores et déjà évident qu’il n’est plus question,  ici, d’un piaillement animal), ce cri peut se paraphraser ainsi : « Je te demande de me donner (x) ».  Ce qui différencie le cri humain du cri animal [...] c’est qu’il est déjà langage, au sens bien particulier que Lacan donne à ce terme : non  pas nomination ou « signal d’objet » mais demande (c'est-à-dire parole adressée à un autre. Autrement dit, le cri humain est d’entrée de jeu une demande de reconnaissance. »
 
Cette importance donnée au langage et à la parole, chez Lacan n’est pas gratuite, Freud était un matérialiste, Lacan à minima un humaniste, sinon un déiste convaincu. « Au commencement était le verbe. » MBJ connaît bien l’œuvre de Lacan, il note que lors du deuxième Séminaire ce dernier rectifie sa déclaration initiale du Discours de Rome : « Au commencement était le verbe » par « Au commencement était le langage ».
La conciliation entre Freud et Lacan que semble souhaiter MBJ est-elle possible ? Pour certains analystes cette conciliation est tout à fait inutile puisqu’il n’y a pas de différence entre le freudisme et le lacanisme : le deuxième serait la continuation orthodoxe du premier.
Pour d’autres, en plus de cette référence au réel qui fait obstacle, la finalité de l’analyse, son  but, n’est pas le même. 

 Mikkel-Borch Jacobsen fait quelque part un faux procès à Lacan au sujet de la linguistique et de l’utilisation qu’en fait ce dernier ; le reproche –éternel- que font les adversaires de Lacan à ce propos étant celui du glissement du signifiant et du signifié. Ce reproche est mal venu, Lacan s’est servi de la linguistique comme d’un outil, la linguistique étant la « science » du langage, Lacan l’a faite déborder de son propre champ, le signifiant ne désigne plus, dans ce que le psychanalyste appelait sa  linguisterie, un objet ou une chose, mais s’intègre à une chaine signifiante. Il est vrai qu’il est difficile de suivre les concepts lacaniens ; Lacan inventant tour à tour des formules et des expressions plutôt floues, qui ne sont jamais clairement expliquées et que chacun adapte à sa propre interprétation, à sa propre fantaisie. Mais comme le remarque justement MBJ avec indulgence « personne ne parle la langue des linguistes. »
On ne peut qu’abonder dans son sens  lorsqu’il écrit :

« Ce rappel nous aura-t-il fait progresser dans la solution de notre problème, celui des rapports entre le sujet et le signifiant ? En partie, puisque tout ceci explique bien que Lacan ait par la suite soutenu que « le signifiant représente le sujet ». Mais cela ne nous explique pas encore qu’il ait ajouté : « pour un autre signifiant ». (p.226)

Lacan, dans son œuvre, se sert souvent de la trace de pas comme illustration par excellence du signifiant. Or la trace de pas est le signifiant qui représente un sujet pour un autre sujet ! Avec la formule du « signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant » le sujet n’est effectivement jamais représenté, il est enfermé dans une absence d'altérité.

Un autre concept majeur de Lacan qui est abordé dans l’ouvrage, est celui du Phallus. MBJ n’est certainement pas le premier à attaquer le lacanisme sur ce point. Nombres d’écrits féministes s’en sont chargé. Pourquoi cette primauté du phallus, qui est tout de même le significateur du mâle ? Lacan a fait du phallus le signifiant « maître »,  le signifiant auquel renvoient en fin de compte tous les autres signifiants, mais comme l’indique MBJ :

« Il n’empêche que ce phallus de mascarade est bien, malgré tout, le symbole du pénis » (p.250)

Avec beaucoup de réticences on peut être d’accord avec lui et tenter de suivre son développement. Bien que la réponse soit peut-être beaucoup plus simple que ce qu’il n’y paraît. C’est une évidence, de tous les mammifères supérieurs l’homme et les grands singes ont le membre sexuel au milieu du corps. Le phallus de l’animal défie rarement la pesanteur, celui de l’homme oui. Signifiant, symbole significateur ou résonance, il est, pour les psychanalystes, l’incarnation même de la fonction érotique et du pouvoir. L’homme demeure, pour le moment, le seul à avoir inventé les trois fonctions supérieures qui le classent au sommet  de la hiérarchie animale.  Il inventa dieu, le langage articulé qui permet la métaphore et l’érotisme. D’où l’importance du phallus devenu signifiant maitre dans l’espèce humaine. Maintenant que ce signifiant attende le petit d’homme à côté de son berceau, et soit effectivement le signifiant maitre c’est une autre histoire.

Mikkel Borch-Jacobsen indique lui-même le processus qui fait que le phallus fonctionne comme « signifiant du pouvoir » en oubliant les propos qu'il tient à la page 250 :

« ...c’est d’abord le fait qu’il est érigé, dressé debout comme l’est le corps humain ou la statue de pierre [...] le pouvoir-se-tenir-droit-sur-ses-jambes qui fascine le petit enfant, l’être-grand qui polarise sa rivalité. Le phallus, en un mot, est le « Maître » imaginaire, le double très littéralement colossal  dans lequel le « petit d’homme anticipe la maîtrise de son propre corps » (p.257)

Il laisse pour cela Lacan confirmer ses dires en le citant :

« Ce n’est d’ailleurs pas le pénis, mais le phallus, c'est-à-dire quelque chose dont l’usage symbolique est possible parce qu’il se voit, qu’il est érigé. De ce qui ne se voit pas, de ce qui est caché il n’y a pas d’usage symbolique possible »  (Séminaire II, page 315)

Selon le mot de MBJ, le phallus se voit et permet un imaginaire, il devient donc théorisable.Mais c’est oublier un peu vite que ce dernier est très souvent voilé ! MBJ,  à propos du phallus retenu comme signifiant maître se pose et pose la question suivante :

« Pourquoi pas plutôt le clitoris ou le vagin (après tout on ne manque pas d’exemples de manipulation ou de représentation symbolique de l’organe sexuel féminin, depuis l’excision jusqu’à la « vulve mythique ») ? Pourquoi pas, à la limite, n’importe quelle partie du corps sacrifiée, tatouée, trouée, « perdue » [...] Autant le dire tout de suite, ce phallocentrisme est plus obscur qu’il n’y paraît... » (p. 251)

Certes il ne manque pas d’exemples de représentations ou plutôt de symboles, et pourquoi pas de signifiants de l’organe féminin (les grottes, les cavités, la plupart des contenants...) Ce qui est tout de même curieux, alors que l’auteur reconnaît que ce... phallocentrisme est plus obscur qu’il n’y parait c’est qu’il ne suggère pas, comme fonction signifiante universelle du désir, les seins, tout simplement. Car ces derniers, contrairement au clitoris, à la vulve ou au pénis, ne sont pas systématiquement cachés. Dans nombre de civilisations ils ne le sont pas, et quand ils le sont,  le volume qu’ils occupent les trahit. Force est de constater que la poitrine, et non pas le pénis, est le premier élément visible par l'enfant de la différence qui existe entre les genres, qu'elle est aussi une différence anatomique visible dans ses formes, qu'elle transparaît malgré les vêtements. Pas seulement dans ses formes d'ailleurs ; il ne peut échapper au regard de l'enfant non seulement cette partie de l'anatomie particulière de la femme, mais également ses signifiants auxiliaires, (le soutien-gorge) exposés à sa vue dans la vie quotidienne.
Certes on pourra répliquer que les seins ne sont pas à proprement parler un organe sexuel, ils n’en sont pas moins présents dans l’étreinte et demeure pour une grande partie des individus un élément déclencheur du désir, nul ne peut nier leur rôle dans l’attraction et la relation sexuelle.
C’est surprenant et regrettable que MBJ touchant du doigt une faille majeure de la psychanalyse, ne développe pas plus avant. Nombre de concepts lacaniens ne sont pas abordés dans cet ouvrage de 300 pages qui invitait à La lecture de Lacan. C’est bien dommage, car parfois ces concepts (le point de capiton, la trilogie Réel/Symbolique/Imaginaire, la forclusion)  auraient pu permettre d’apporter une réponse aux interrogations que pose MBJ et qui restent justement sans ...réponse ! 
Mais nous sommes loin, dans cet ouvrage, de la mauvaise foi du fameux Livre noir auquel l’auteur a largement contribué. Excellente critique et excellente interrogation que ce « Lacan Le maître absolu » qui est une lecture de Lacan et non la lecture de Lacan. Evidemment, comme dans tout ouvrage non apologétique  on retrouve parfois le propos « néantisant » la psychanalyse de façon générale :

"  ....en se faisant enfin reconnaître sur la scène analytique, fabuleux théâtre où le moindre bobard se transforme miraculeusement en « symbole de la destinée ». Bref, plus on ment et plus on dit la vérité. Plus on fictionne le passé et plus on façonne (on prédit) l’avenir." (P.189.)

C'était inutile et ce n'est pas du niveau de l'ouvrage.

21 janvier 2011

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Une saison chez Lacan


C’est l’histoire de son analyse que nous livre Pierre Rey, dans Une saison chez Lacan, éd. Robert Laffont, collection essais. Une saison qui dure tout de même dix ans. Il y a des saisons plus longues que d’autres. Ce n’est bien évidemment pas l’intime de l’analyse, ni le versant technique que nous offre Pierre Rey dans cet essai. C’est un partage de son quotidien, de certains moments de sa vie, pendant ces dix années passées dans le cabinet de Lacan. Dans le cabinet et non sur le divan, il écrit en effet, ne jamais avoir eu cette position, pourtant classique en analyse. Ce qui n’en fait pas une simple causerie :

« M’eut-il demandé de le rejoindre aux antipodes pour une entrevue de vingt secondes à dix millions, j’aurai trouvé l’argent et j’y serai allé. Quand ils ont cette force, les liens du transfert sont insécables. » (p.68)

Pour ceux qui ont déjà lu des familiers de Lacan raconter leur tranche d’analyse ou leur fréquentation du 5 rue de Lille, l’adresse du célèbre psychanalyste, cela ne surprend pas. N’importe quel analysant durant son transfert positif est prêt à tout pour satisfaire son analyste, ce Dieu incarné en héros, en Sujet Sachant ! L’avidité d’argent qu’avait Jacques Lacan n’est plus un secret pour qui s’intéresse un minimum à la chose. Ses tarifs étaient exorbitants, ses séances parfois réduites au minimum. Faire une analyse chez Lacan n’était pas à la portée du premier smicard venu. L’auteur, richissime, dit pourtant avoir emprunté parfois pour payer ses séances. Mais tous les gens très riches aiment se la jouer fauché, on ne sait pas vraiment pourquoi... La déche, la panne de fric est un leitmotiv qui revient souvent dans les 220 pages de l’essai.

« Tout se joua en une fraction de seconde : je me « vis » comme je vis l’inéluctable trajectoire qu’allait être ma vie. J’avais trente- cinq ans. Dans trente ans j’en aurais soixante- cinq. Avec de la chance, un autre chauffeur m’attendrait peut-être et je dirigerais toujours un autre journal. Anéanti soudain par l’accablante sensation de voir passer le convoi de mes propres obsèques, je remontai à mon bureau, m’emparai du téléphone et appelai une compagnie aérienne : Où, sur la planète, pouvais-je trouver l’été en février ? La Guadeloupe. » (p.103)

Il y alla tout de suite. Dans la série des petites annonces branchées, l’auteur pourrait y faire figurer la sienne : « Fauché avec chauffeur, cherche place au soleil. » Mais comme il n’est jamais à court de ressources, l’auteur a trouvé la solution pour payer ses séances : il va écrire un roman ! Pour ce faire il va voir un éditeur, Robert Laffont. C’est son premier roman, il présente trois feuillets et n’a pas de plan. Il ne sait pas lui-même s’il sera capable d’écrire jusqu’à la fin le supposé roman de mille pages, mais la conclusion est plutôt positive :

« Je me retrouvai debout devant la porte. Il me l’ouvrit toute grande et m’adressa cette phrase définitive :
-J’accepte vos conditions. Venez signer le contrat demain.
 » (p.132)

Voilà de quoi faire pâlir plus d’un écrit vain.  L’auteur a rencontré des personnages contemporains célèbres, de grands auteurs. Intime de Dali, il reporte une conversation concernant la scatologie qu’il eût avec le peintre, les quelques pages valent leur pesant de tube de couleurs, de plus c’ est très joliment bien raconté. Pierre Rey rencontra également Levis Strauss pour un entretien, et il connut Françoise Dolto lors d’une émission de radio, dont il était présentateur. Il fut naturellement fasciné par la célèbre psychanalyste. Ce que je trouve, moi, fascinant, c’est qu’on puisse être fasciné par cette dame, concluant en dix secondes des situations abracadabrantes comme le sont toutes les situations affectives quand la névrose plane sur les paumés, fussent-ils des enfants.  
Comment, quand on passe soi-même dix ans en analyse, peut-on être dupe de ces « miracles » de dix secondes ?
Assez souvent l’auteur philosophe sur la psychanalyse, et c’est ma foi, assez réussi :

« D’où ce paradoxe de l’analyse : parce qu’elle libère, elle condamne. Faisant revivre, elle tue. »

Freud fut un phénomène viennois du début du 20e siècle réservé aux fortunés de l’époque, Lacan fut un phénomène parisien de la fin du 20e siècle réservé aux fortunés de l’époque. Il en est tout de même né la psychanalyse, ce n’est pas rien.  Ite missa est.
Un français plaisant à lire, des vérités essentielles sur l’analyse, voire même quelques phrases de vulgarisation assez réussies de l’œuvre du maître. Les personnages croisés tout au long de l’ouvrage sont plaisants, attachants. Ils sont riches, ça ne gâche rien. La misère, bien écrite a aussi son charme, mais on ne vit pas toute sa vie en se passant en boucle Les Misérables.
Excellent ouvrage, court et agréable il n’en faut pas plus pour passer un bon moment.
29/02/2016
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Les patients de Freud

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