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L'idéologie freudienne

La psychanalyse du début du siècle, par les valeurs qu'elle agite, par les concepts qu'elle développe et le vocabulaire ésotérique qu'elle déploie reste la dernière expression d'un romantisme mi-bourgeois, mi-religieux dont ce début de siècle a faim. Si elle sait que ces derniers seront pour elle source de profits, la bourgeoisie reste frileuse face aux progrès scientifiques. Elle craint les bouleversements inévitables que ces derniers entraînent déjà dans la pensée contemporaine. Les bases de sa morale et le fondement chrétien de sa doctrine économique sont atteints. Ils ne pourront pas perdurer. Par ses progrès constants, chaque jour la science invite à l'athéisme, en philosophie, ce n'est pas mieux : Marx et Nietzsche, chacun à leur manière, annoncent que Dieu est mort.
En mettant en avant la Loi, l'Interdit, la figure du Père, la psychanalyse réintroduit le sacré au cœur de la cellule familiale, elle restitue Dieu à l'homme. Avec l'Œdipe on va enfin pouvoir respirer : "Quoi ? Un inceste dans cette famille !"
C'est bien par la volonté des dieux qu'Œdipe devient le sujet d'un malheureux destin, il y a une résurgence du Destin alors que l'inceste se pratique quotidiennement dans les faubourgs ouvriers de toutes les capitales industrielles. Mais c'est davantage dans son mode de fonctionnement que la psychanalyse va apparaître comme une expression du romantisme religieux. L'initiation, le secret, en constituent les matériaux opaques. Le patient est initié au langage particulier du désir, aux arcanes secrets de l'inconscient, on ne devient psychanalyste qu'en ayant été soi-même initié. Tout le sexuel, le mystérieux, l'hypnose, qui ont entouré la naissance de la méthode analytique apportent leur lot de magie, de surnaturel. La transmission s'effectue dans un endroit particulier ; qu'importe qu'il soit un salon sombre ou éclairé, spacieux ou réduit, ce qui compte c'est l'atmosphère de mystère, le ton de la confidence. De stases sexuelles en extases mystiques la conscience pénètre l'inconscient en couches successives que franchissent les disciples guidés par le Maître dans la quête du Graal.

couverture du livre

(Extraits) :

Les intellectuels : "Les non dupes errent"

La pénétration de l'idéologie freudienne n'est pas qu'affaire de vulgarisation, les intellectuels participent également, parfois bien malgré eux, à cette idéologie hégémonique. Ils se trouvent généralement parmi les philosophes qui ont déjà un statut et une position qui leur permet d'interpeller la psychanalyse. Ils sont en général connaisseurs de la pratique analytique, pour l'avoir approchée de très près, ils en connaissent le langage, la terminologie, les arcanes cachés, ils sont souvent en relation directe ou indirecte avec des théoriciens de la psychanalyse.
Ils interrogent généralement la théorie freudienne sur son action, sa portée sociale, son sens dans le mouvement de l'Histoire, mais, hormis Gilles Deleuze, rares sont ceux qui ont osé ouvertement mettre en doute la réalité du Complexe d'Œdipe et l'étendre au champ social.
Le travail de Michel Foucault, bien qu'en harmonie avec celui de Gilles Deleuze, se situe sur un tout autre plan. Dans son "Histoire de la sexualité" (éd. Gallimard), dont le premier tome portait en sous-titre "La Volonté de savoir" et qui parut en 1976, le philosophe laissait entendre que dans les volumes à venir il procéderait, selon son habitude, à une analyse "archéologique" de cette " Histoire de la Sexualité ".
On pouvait dès lors s'attendre, après la publication du premier volume à une continuité dans le travail du philosophe, or il n'en fut rien. Foucault passe sans transition d'une vision critique de la société contemporaine à une histoire de la sexualité dans la Grèce Classique (tome II) et dans la Civilisation Romaine (tome III.) On peut s'interroger sur les raisons de cette rupture de projet que donne le philosophe à ce changement dans son introduction du tome II. Ces raisons sont peut-être différentes de celles avancées par l'auteur.
Son analyse ne pouvait pas ne pas prendre en compte l'histoire du mouvement psychanalytique, de sa naissance à son état actuel, elle ne pouvait pas ne pas voir ses buts et ses méthodes :

"À travers tant de discours, on a multiplié les condamnations judiciaires des petites perversions ; on a annexé l'irrégularité sexuelle à la maladie mentale ; de l'enfance à la vieillesse, on a défini une norme du développement sexuel et caractérisé avec soin toutes les déviances possibles... [ ]... Les moralistes, mais aussi et surtout les médecins ont rameuté tout le vocabulaire emphatique de l'abomination : n'est-ce pas autant de moyens mis en œuvre pour résorber, au profit d'une sexualité génitalement centrée, tant de plaisirs sans fruit ?"
(M. Foucault, Histoire de la sexualité, tome I éd. Gallimard P. 51.)

Foucault avait parfaitement saisi la portée d'une vision freudienne de la sexualité où s'affirme le "primat du génital" et il était bel et bien dans l'intention du philosophe de poursuivre ce travail d'archéologie du savoir sur le sexe, d'en venir à une analyse des objectifs de ce dispositif, et cela sans faire œuvre d'historien de l'antiquité :

"Le domaine qu'il s'agit d'analyser dans les différentes études qui vont suivre le présent volume, c'est donc bien ce dispositif de sexualité : sa formation à partir de la chair chrétienne ; son développement à travers les quatre grandes stratégies qui se sont déployées au XIXe siècle : sexualisation de l'enfant, hystérisation de la femme, spécification des pervers, régulation de populations : toutes stratégies qui passent par une famille dont il faut bien voir qu'elle a été, non pas puissance d'interdiction, mais facteur capital de sexualisation." (ibid., P.150)

Le philosophe avait donc bel et bien l'intention d'analyser "le dispositif de sexualité" dans les volumes suivant la parution de La volonté de savoir.
Si la quatrième stratégie demeure un facteur extérieur à la psychanalyse, cette dernière est plus que concernée par les trois précédentes : elle les a créés ! Quelles peuvent être les raisons objectives de ce silence ? Comme le démontre Robert Castel, il est impossible d'analyser le discours psychanalytique et son institution, sans que ne sautent aux yeux ses effets pervers :

"On pourrait bientôt se rendre compte que tout n'est pas bénin dans cette inflation des interprétations paramédicales et psychologisantes. Ce qui manque encore à la structure qui se met en place, c'est une délégation franche de pouvoir pour assumer ainsi un mandat social (actuellement "ça interprète" partout où "ça parle", mais en quelque sorte à la petite semaine, c'est encore de l'amateurisme, sauf dans les institutions et les situations encore spécifiées où l'interprétant a le pouvoir.) Mais les deux préalables théoriques pour l'implantation généralisée existent déjà. "
(Le psychanalysme, op. cité P. 299)

Les véritables raisons de l'impossibilité d'une critique théorique de la psychanalyse et de son institution sont complexes. Peut-on constater les effets pervers de la psychanalyse et les dénoncer sans rentrer dans un processus sans issue ? "....Profit d'une sexualité génitalement centrée, sexualisation de l'enfant, hystérisation de la femme, spécification des pervers ..." Foucault ne s'y est pas trompé, c'est bien à partir de la psychanalyse qui lui fournit sa base théorique que va se mettre en place ce "dispositif de contrôle". Mais il est dans le même temps impossible de ne pas reconnaître la prodigieuse avancée dans la connaissance de l'homme qu'elle a apportée aux sciences humaines, à la médecine et à l'humanité même. C'est une impossible dialectique.
C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles le philosophe a changé l'orientation de son travail. Car si on pouvait déjà, à l'époque où l'auteur écrivait, constater les effets pervers de l'institution psychanalytique et de son action politique, le recul manquait encore pour une véritable analyse "archéologique." Cette analyse n'aurait été qu'une impasse, une impossible conclusion politique des visées de la psychanalyse.
On ne peut que constater le cheminement différent qu'a suivi M. Foucault par rapport à celui de Gilles Deleuze. Pour ce dernier, c'est vers une critique radicale de l'institution psychanalytique et de son discours que s'est orientée sa pensée. Bien que Gilles Deleuze et F. Guattari effectuent une approche de la situation assez partisane, pour ne pas dire sans appel, elle a au moins le mérite d'exister en une conclusion quelque peu abrupte, mais qu'il importait d'écrire :

"Et comment coexistèrent trois éléments : l'élément explorateur et pionnier, révolutionnaire, qui découvrait la production désirante ; l'élément culturel classique, qui rabat tout sur une scène de représentation théâtrale œdipienne (le retour du mythe !) ; et enfin le troisième élément, le plus inquiétant, une sorte de racket assoiffée de respectabilité, qui n'aura de cesse de se faire reconnaître et institutionnaliser, une formidable entreprise d'absorption de plus-value, avec sa codification de la cure interminable, sa cynique justification du rôle de l'argent, et tous les gages qu'elle donne à l'ordre établi."
(Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Anti-Œdipe, éd. De Minuit p.140)

Que ce soit Foucault ou Deleuze, tous deux s'accordent à reconnaître à la découverte freudienne une composante révolutionnaire. Si le premier a bien senti la difficulté d'articuler une analyse entre le discours freudien et les effets du mouvement analytique, et en fait, a renoncé à poursuivre son travail, le second ne pouvait que choisir dans sa critique une fuite à l'avant vers une anti-psychiatrie naissante teintée aux couleurs du gauchisme.
[...]

 

Le Complexe d'Œdipe et le complexe de castration

 

"La Loi nous dit : Tu n'épouseras pas ta mère et tu ne tueras pas ton père. Et nous, sujets dociles, nous nous disons : c'est donc ça que je voulais !"
(Gilles Deleuze, Félix Guattari - L'Anti-Œdipe, éd. de Minuit.)

Pour la psychanalyse, le complexe d'Œdipe est vécu dans une période allant de l'âge de trois à cinq ans, lors de la phase dite phallique, pour ressurgir à l'adolescence. Il est décrit de la manière suivante :

"Ensemble organisé de désirs amoureux et hostiles que l'enfant éprouve à l'égard de ses parents. Sous sa forme positive, le complexe se présente comme dans l'histoire d'Œdipe-Roi : désir de la mort de ce rival qu'est le personnage du même sexe et désir sexuel pour le personnage du sexe opposé".
(J. Laplanche et J. B Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, éd. PUF, 1967)

Son universalité ne fait aucun doute :

"l'anthropologie psychanalytique s'attache à retrouver la structure triangulaire du complexe d'Œdipe, dont elle affirme l'universalité, dans les cultures les plus diverses et pas seulement dans celles où prédomine la famille conjugale". (Ibid.)

La question qui se pose est la suivante : comment peut-on envisager une universalité à un phénomène psychique qui reste malgré tout supposé, qui n'est que le résultat d'une grille de lecture particulière ? Le Complexe d'Œdipe, a, selon la psychanalyse une fonction majeure dans la structuration de la personnalité. Certes, il est possible qu'il soit une donnée importante de l'inconscient, voire même, qu'il puisse être en certains cas, une composante de la personnalité. Mais faire de ce processus la composante essentielle et majeure de la formation du psychisme ressort plus du dogme religieux que de la rigueur scientifique. L'important n'étant pas forcément l'essentiel. Comme l'enfant ne réalise le phénomène irréversible de la mort que vers les huit/dix ans, il y a une difficulté à concevoir un Complexe d'Œdipe tel qu'il est décrit dans le Vocabulaire. Dans l'édition de leur Dictionnaire de la psychanalyse, (éd. Fayard, 1997, Élisabeth Roudinesco et Michel Plon) ne parlent pas, dans leur description du Complexe d'Œdipe, de désir de mort envers le parent du même sexe, mais d'hostilité envers ce dernier.

Il n'est pas question ici de nier le Complexe d'Œdipe ; une rapide enquête auprès des garçonnets de cette tranche d'âge confirme l'importance des sentiments amoureux des petits garçons pour leur mère : "quand je serai grand je me marierai avec maman !" Il s'agit plutôt de ne pas le considérer comme la dominante fondamentale et essentielle qui structure l'être humain ; de ne pas lui faire tenir une place déterminante dans la fonction de la construction de la personnalité comme l'a fait et le fait actuellement la psychanalyse. Il s'agit simplement de considérer ces complexes comme composants auxiliaires. Rien ne permet objectivement de vérifier le bien-fondé de la théorie freudienne quant à cette particularité du psychisme. Seule une grille de lecture suggestive établie par les psychanalystes étaie cette conception des productions inconscientes pour la donner comme essentielle. Retrancher certains types de productions discursives du sujet en leur donnant un statut privilégié dans la formation du psychisme, par le biais de l'interprétation, justifie une théorie, mais n'avalise pas un fait.
Vouloir séparer, comme c'est le cas dans le déroulement d'une analyse, deux éléments d'une production inconsciente "inquantifiable" en les orientant d'une façon subjective dans le discours de l'analyse, ne peut bien évidemment qu'être reconnu par le sujet lui-même comme un énoncé vrai de sa production inconsciente. Réduire donc ces composantes et ne pas orienter systématiquement les dires de l'analysant vers une interprétation-orientation œdipienne.

Le fondement mythologique du complexe d'Œdipe trouve sa source dans l'histoire d'Œdipe Roi, la tragédie de Sophocle. Bien involontairement l'infortuné héros tua son père et épousa sa mère. Il régna sur Thèbes jusqu'à ce que les dieux en décident autrement. Œdipe découvre alors sa véritable identité, il se découvre le meurtrier de son véritable père (Laïos) et l'époux de sa mère (Jocaste) qui se pend en apprenant la vérité. Œdipe saisit alors la broche qui tenait le vêtement de Jocaste et s'en sert pour se crever les yeux. Sophocle écrivit une suite à cette première tragédie, Œdipe à Colone, où le héros après avoir vécu d'errances, accompagné par sa fille Antigone, finit par disparaître dans un trou.

La tragédie de Sophocle est peut-être le plus mauvais exemple que pouvait choisir Freud pour illustrer son Complexe d'Œdipe. En effet, le mythe grec de Tirésias nous apprend que celui-ci fut aveuglé par la déesse Héra parce que, ayant été femme pendant plusieurs années, il avait révélé à Zeus que la femme jouissait dix fois plus que l'homme. Tirésias était le devin qui avertit Œdipe à plusieurs reprises que, tout comme lui, il serait bientôt aveugle. Or, c'est par une Déesse, Héra, la mère des Dieux de l'Olympe, que Tirésias fut aveuglé en châtiment d'avoir révélé à Zeus, le père, que la femme jouissait dix fois plus que l'homme. Il faut se souvenir que pour Freud, l'aveuglement d'Œdipe fut sa castration, la castration étant pour la psychanalyse, freudienne ou lacanienne, le fait du père. On ne peut que constater qu'ici, pour Tirésias, elle est le fait de la mère, (Héra) et que celle d'Œdipe est annoncée par un homme qui fut une femme, et que lors de sa prophétie concernant Œdipe et sa "cécité/castration" il était un homme certes, mais un homme aveugle, (castré) diminué, un infirme qui, s'il pouvait symboliser la sagesse, ne pouvait incarner la puissance du père. Ici, la "lignée" castratrice est féminine. Freud et tant d'autres après lui, sont restés aveugles à ce signe.

Freud situe le fondement historique du Complexe d'Œdipe à l'aube de l'humanité : dans la horde primitive, les mâles s'assemblent pour tuer le père qui règne sur le clan et possède les femelles. Ils le dévorent. (S. Freud, Totem et Tabou, Petite bibliothèque Payot) Bien entendu la réalité historique de ce fait reste contestée. Mais, cette réalité serait agissante dans le sujet. Ce meurtre primitif ou au moins son "pattern" nous serait transmis par une mystérieuse voie.
Le freudisme rejetant un Inconscient Collectif tel que le concevait Jung, on peut se demander quel est le mode de transmission de ce processus de la mémoire inconsciente qui devient actif entre trois et cinq ans. Car du fait de son universalité, le Complexe d'Œdipe est déjà là : il attend chaque petit d'homme devant son berceau ou au pied de son lit. Toutes les hypothèses, toujours non démontrables et sans qu'elles ne soient jamais clairement expliquées, seront échafaudées : la Structure, le Langage, la Loi, le Symbolique etc. C'est le Complexe d'Œdipe qui fera un homme ou une femme du petit d'homme. Sans lui, pas de salut :

" …La rencontre effective de l'Œdipe est indispensable pour établir le sujet dans un rapport de réalité, c'est-à-dire pour que se constitue pour lui la réalité comme telle et pour qu'il dispose aussi d'un étalon de cette réalité [ ]. C'est pourquoi Lacan a pu dire que c'est le Complexe d'Œdipe qui fait tenir la psychanalyse et même que sans lui la psychanalyse toute entière ne serait plus qu'un délire. "
(Michel Lapeyre, op. cité P. 28)

 

L'Œdipianisation forcée : le petit Hans

Il est assez troublant de constater que le premier être humain à avoir été "œdipianisé" hors du divan du psychanalyste le fut par son propre père. Par quelqu'un que Freud considérait comme un "technicien" de la psychanalyse :

"Le mérite du père va plus loin : aucune autre personne, je pense, ne serait parvenue à obtenir de l'enfant de tels aveux ; les connaissances techniques, grâce auxquelles le père a su interpréter les dires de son fils de 5 ans, étaient indispensables"
(S. Freud, Le Petit Hans, Cinq psychanalyses, éd. PUF )

On notera au passage, que plus loin dans son ouvrage, Freud a "omis" d'informer le père du petit Hans, de théories infantiles très importantes sur le développement du psychisme des enfants concernant pour eux la venue des bébés. Théories applicables aux petites filles et aux petits garçons. Une de ces théories infantiles est que le bébé sort par le derrière, sous forme de loumf (C'est ainsi que le petit Hans désignait ses crottes.) Freud, dans le compte rendu écrit de cette analyse, prend toutes les précautions indispensables pour, d'un côté excuser les suggestions que son père fait au petit Hans, -allant quelquefois jusqu'à les invalider, le présentant comme un piètre "analyste" quand les suggestions sont trop évidentes- et d'un autre côté, il s'évertue à convaincre ses lecteurs de la validité de ces suggestions quand elles confirment sa théorie de la construction de l'appareil psychique, usant par avance d'ironie si ces lecteurs supposés se situent dans un camp différent du sien :

"...l'analyse d'un enfant par son père, quand ce père aborde cette analyse imbu de mes vues théoriques, infecté de mes préjugés [...] Bref, encore une fois, tout est ici de la suggestion". (ibid)

En conclusion, l'analyse se termine par la résolution de l'Œdipe du petit Hans, car pour Freud et le père il ne fait pas de doute que le petit Hans est atteint de ce complexe et que ce dernier a structuré sa personnalité :

"Il est vraiment un petit Œdipe qui voudrait mettre de côté son père, s'en débarrasser, afin d'être seul avec sa jolie maman, afin de coucher avec elle." (ibid.)

Quant aux sceptiques qui oseraient émettre quelques doutes sur la validité de ces assertions, ils ne sont que les victimes d'une résistance à admettre le bien fondé de la théorie ; le système fonctionne déjà très bien :

"Je sais que, même par cette analyse, je ne convaincrai personne de ceux qui ne veulent pas se laisser convaincre, et je vais poursuivre la discussion de ce cas en vue des lecteurs qui ont déjà acquis la conviction de la réalité objective du matériel pathogène inconscient". (ibid.)

Il est intéressant de voir comment et en quelles conditions ces suggestions eurent lieu, comment fut occultée pour Hans toute tentative d'élaboration de recherche autre que celles assignées par son père et par Freud. Le père, d'ordinaire si suggestif en ce qui concerne l'aveu de l'Œdipe ou de la castration, ne manifeste aucune curiosité pour les autres pensées de l'enfant concernant son désir d'enfanter, la possibilité pour Hans de découvrir un désir matriciel, voire d'avoir avec lui un rapport sexuel.
[...]

Ce texte de Freud appela bien des commentaires, le plus judicieux étant celui de Lacan en 1957 lors de son séminaire. Ce dernier utilise le texte allemand beaucoup plus riche de détails que la traduction française. Cette richesse lui permet notamment de faire des rapprochements entre les mots dents (les dents du cheval qui peuvent mordre les doigts de Hans et son fait-pipi) et le mot pinces. Tous les commentateurs ont vu le côté suggestif de l'analyse du petit Hans. Que ce soit le père qui s'exprime plutôt que le petit Hans, n'a pas échappé aux plus perspicaces, notamment en ce qui concerne le fantasme final, le "dévissage" du derrière et du pénis du petit Hans auquel le père suggère que le plombier agit ainsi pour lui en mettre un plus gros :

"Ces gens sont tellement dans la hâte d'imposer leur signification au petit Hans, qu'ils n'attendent même pas qu'il ait fini de s'exprimer à propos du dévissage de son petit pénis, pour lui dire que la seule explication possible, c'est naturellement qu'il s'agit de lui en donner un plus grand. Le petit Hans n'a pas dit du tout cela, et nous ne savons pas s'il l'aurait dit si on l'avait laissé parler. Rien n'indique qu'il l'aurait dit. Le petit Hans a seulement parlé du remplacement de son derrière."
(J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, op. cité, p.299, 1957)

L'interprétation de Lacan est tout de même à géométrie variable :

"Relisez bien tout ce que je vous ai appris à lire au niveau du petit Hans. Vous verrez qu'il ne s'agit que de cela
- est-il enraciné ? Est-il amovible ? À la fin, Hans s'arrange - il est dévissable. On le dévisse, et on peut en remettre d'autres. C'est donc de cela qu'il s'agit.
"
(J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII, page 276, 1961)

Quatre ans après Lacan s'arrange avec ses propres commentaires : "On peut en remettre d'autres" alors que dans son premier commentaire il stipule bien que le gamin "a seulement parlé du remplacement de son derrière." Dans ses commentaires du cas, Lacan s'intéresse surtout à la phobie du petit garçon. L'objet de la phobie, le cheval, étant pour lui tour à tour la mère qui peut dévorer et castrer, le phallus de la mère, celui du père ou le propre pénis du petit Hans. Il est enfin le phallus castré de la mère, puisque le cheval peut "tomber". Le phantasme du perçoir, reste bien pour Lacan la castration de Hans et non un coït du père, bien qu'à la fin de son commentaire, pour lui, Hans ne soit pas passé par la voie de la castration :

"Dans le cas présent, on peut dire que le petit Hans n'est pas passé par le complexe de castration, mais par une autre voie. Et cette autre voie, comme l'indique le mythe de l'installateur qui lui change le derrière, l'a conduit à se transformer en un autre petit Hans"
(J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, op. cité page 408).

Ce que démontre Lacan dans ses commentaires de l'analyse du petit Hans, c'est la prééminence de l'Œdipe et de la castration, même s'il nous explique que cet Œdipe a mal tourné et que la castration n'a pas eu lieu...

 

 

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Chez l'éditeur :
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"La critique de la psychanalyse à laquelle procède l'auteur se déploie sur le plan théorique et pratique focalisée sur la notion de Loi" La Quinzaine littéraire, N° 980, 16 / 30 novembre 2008.

Plan de l'ouvrage :

Sommaire

Comme à l'Église
Dans les forces sociales
Le "dispositif"
La mise en place du dispositif
Remplir le vide
La Loi
Flichiatres et flichanalystes
L'avènement de l'Enfant Roi
Les intellectuels : "Les non dupes errent"
Les intellectuels : Les "pères sévères"
La psychosomatique
Psychanalyse et médecine : un inceste de raison.
Psychanalyse et médecine : à la vie à la mort !
La globalisation
Le normalisme scientifique
Freud et Lacan
Le Complexe d'Œdipe et le complexe de castration
L'Œdipianisation forcée : le petit Hans
L'Œdipe : du mythe à la norme
Le complexe de castration
Le petit Hans (suite) ou le complexe de castration obligatoire

 

Index alphabétique des ouvrages cités :

Aisenstein Marilia, Journal Libération du 09.03.2004
Benésteau Jacques, Les mensonges freudiens, éd. Mardaga
Bergler Edmund, La névrose de base, éd. Payot
Bettelheim Bruno et K. Zelan, La lecture et l'enfant, éd. R.Laffont
Bettelheim Bruno, La forteresse vide, éd. Gallimard
Bettelheim Bruno, Les blessures symboliques, éd. Gallimard
Canguilhem Georges, Le normal et le pathologique, éd. PUF
Castel Robert, Le psychanalysme, éd. 10/18
Chasseguet-Smirgel Janine et Béla Grunberger, L'univers contestationnaire, éd. In Press
Chertok Léon, L'hypnose, éd. Payot
Chevalier Jean et A.Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, éd. R. Laffont
Clavreul jean, L'ordre médical, éd. Du Seuil
Deleuze Gilles et Félix Guattari, L'anti-Œdipe, éd. De minuit
Derrida Jacques, Communication aux états généraux de la psychanalyse, journal Le Monde du 9 et 10 juillet 2000
Dolto Françoise, La cause des enfants, coll. Pocket, éd. R. Laffont
Dolto Françoise, La cause des adolescents, éd. R. laffont
Eiguer Alberto, Des perversions sexuelles aux perversions morales, (2001) éd. Odile Jacob
Foucault Michel, Naissance de la clinique, éd. PUF
Foucault Michel, Histoire de la folie à l'âge classique, éd. Gallimard
Foucault Michel, Histoire de la sexualité, tomes I, II et III. éd. Gallimard
Foucault Michel, Les mots et les choses, éd. Gallimard
Freud S. Malaise dans la civilisation, éd. PUF
Freud S. Moïse et le monothéisme, éd. Gallimard
Freud S. La vie sexuelle, éd. PUF
Freud S. Totem et tabou, éd. Payot
Freud S. Essais de psychanalyse, éd. Gallimard
Freud S. Ma vie et la psychanalyse, éd. Gallimard
Freud S. Cinq psychanalyses, éd. PUF
Groddeck Georg, Le livre du Ça, éd. Gallimard
Guiral Pierre et Guy Thullier, la vie quotidienne des domestiques en France au XIX° siècle, éd. Hachette
Guyomard Patrick, article Jacques Lacan, Encyclopedia Universalis
Irigaray Luce, Speculum de l'autre femme, éd. De minuit
Irigaray Luce, Ce sexe qui n'en est pas un, éd. De minuit
Jalmav, revue n° 57 juin 1999
Lacan Jacques, le Séminaire Livre I, éd. Du Seuil
Lacan Jacques, le Séminaire Livre II, éd. Du Seuil
Lacan Jacques, le Séminaire Livre IV, éd. Du Seuil
Lacan Jacques, le Séminaire Livre V, éd. Du Seuil
Lacan Jacques, le Séminaire Livre VIII, éd. Du Seuil
Lacan Jacques, le Séminaire Livre XI, éd. Du Seuil
Lapeyre Michel, Complexe d'Œdipe et complexe de castration, éd. Anthropos
Laplanche Jean et J-B Pontalis, Fantasmes originaires, Fantasmes des origines, Origine du fantasme. éd. Hachette
Laplanche Jean et J-B Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, éd. PUF
Mannoni Maud, Le psychiatre, son fou et la psychanalyse, éd. Du Seuil
Melman Charles, L'homme sans gravité, éd. Denoël
Miller Jacques Alain, Revue PLS n° 1, Juin 2002
Moustapha Safouan, in Quartier Lacan, Ouvrage collectif, éd. Denoël
Nasio J.D. Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, éd. Payot
Platon, le Banquet, éd. Galimard
Porge Éric, Jacques Lacan, un psychanalyste, éd. Érès
Roudinesco Élisabeth, histoire de la psychanalyse en France, éd. Fayard
Roudinesco Élisabeth et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, éd. Fayard
Roustang Fançois, Elle ne le lâche plus, éd. De minuit
Roustang François, Un destin si funeste, éd. De minuit
Vigarello Georges, Histoire des pratiques de santé, éd. Point
Rank Otto, le traumatisme de la naissance, Payot

 

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